Éditorial
La campagne électorale présidentielle – ce moment de privilège pour la démocratie, où les réflexions sur notre avenir touchent à leur paroxysme, où le débat intellectuel, profond comme souvent, fait émerger entre les belligérants une puissance d’idée rarement atteinte – est logiquement un instant de recueillement pour les observateurs que nous sommes. Nous qui avons avancé de cinq ans vers l’âge de raison depuis que le « dernier chef d’une bande de cons » est sorti de ces urnes, nous nous devons, devant ces démonstrations criantes de civisme et de vivre-ensemble, de verser notre modeste part au grand bilan national. Ainsi, et sans prétendre faire un inventaire exhaustif de ce quinquennat, quelques constatations s’imposent. En vrac et dans le désordre… Bernard Arnault a vu sa fortune personnelle bondir de 47 milliards en 2017 à 157,5 milliards en 2021 ; Mme Bettencourt-Meyers a récupéré son titre de femme la plus riche du monde avec 88 milliards : des succès dont nous pouvons être fiers. La moitié des ménages les plus riches réunit 92 % du patrimoine. Le patrimoine financier est particulièrement concentré, puisque 5 % des ménages les plus riches en détiennent plus de la moitié, et même, le 1 % le plus riche en possède 31 %. L’effet premier de cordée fonctionne à plein, comme promis. Parallèlement, en cinq ans le nombre de Français ayant recours à l’aide alimentaire a doublé, ce qui démontre le dynamisme de nos associations caritatives. Le taux de chômage, quant à lui, est stable, à moins que le mode de calcul ait évolué, ce qui est mieux qu’une augmentation. Le problème du réchauffement climatique à été pris a bras le corps, et d’ores et déjà les touillettes en plastique ont disparu de nos étals. Le baccalauréat, cette institution napoléonienne obsolète et surannée, a disparu, remplacé par un algorithme qui sélectionne et oriente les bacheliers, ce qui nous épargne de longues discussions pénibles au sein des familles. 5 700 lits d’hôpitaux ont été supprimés en 2020 – malgré, à cause de, ou grâce à la pandémie – qui sont venus s’ajouter aux 103 000 lits disparus depuis 1993, preuve de la grande compétence des énarques dirigeant l’administration hospitalière. Par ailleurs, nous sommes devenus champions du monde de foot, ce qui réchauffe le cœur.
Certes, quelques gilets jaunes sont venus troubler ce bel agencement, mais l’extrême efficacité de notre police les a dissuadés d’aller trop loin. Une vague épidémique a bien submergé notre beau pays, mais la célérité de la réaction de nos dirigeants a surpris le monde entier, et l’instauration du passe sanitaire a permis de sécuriser nos terrasses et nos restaurants, lieux habituels de perdition et de contamination. Les migrants ne nous ont pas submergés comme annoncé, et ont la politesse d’aller maintenant se noyer dans la Manche, ce qui soulage la Méditerranée, destination habituelle de nos villégiatures estivales. Bref, tout va pour le mieux, et le débat pour savoir si le nouveau monde sera un retour au régime de Vichy ou une plongée dans 1984 d’Orwell peut maintenant commencer.
Quant à nous, nous continuerons à fréquenter les chemins de traverse embroussaillés de bruyères sauvages et à relater nos luttes et nos espoirs, qui n’ont jamais suivi le tempo du barnum électoral et croisent de moins en moins les préoccupations de la triste majorité asservie.