Non de baptême
Jikabo
On peut être une catholique qui s’ignore. Non par effet de la grâce divine ni par l’opération du Saint-Esprit ; mais parce que, alors qu’on souillait encore nos langes et qu’on ne vagissait que quelques sons inarticulés, nos parents ont cru bon de nous faire asperger d’eau bénite et, ce faisant, nous faire rejoindre la communauté des brebis lavées du péché originel et en règle avec le Tout-Puissant. Par conviction ou par conformisme, par foi ou par flemme, pour sauver notre âme ou pour ne pas contrarier Mamie.
On est en droit, une fois qu’on va au pot tout seul et qu’on est en capacité de s’exprimer, de ressentir quelque gêne à être catho à l’insu de son plein gré, et ne pas être enchanté de grossir les rangs spirituels et statistiques de la sainte Église catholique, apostolique et romaine, qui compte déjà plus d’un milliard de baptisés. On peut alors demander à être débaptisé, par une lettre datée et signée, accompagnée de la copie d’une pièce d’identité, adressée à l’évêché dont dépend la paroisse du baptême. C’est ce qu’a fait une lectrice de Saxifrage, il y a cinq ans de cela, en écrivant le courrier ci-joint.
Pour l’Église, pareille demande de débaptisation est à la fois gravissime et anodine. D’un côté, la requête est sans conséquence transcendantale, puisque quoi qu’en pense l’intéressée, le baptême est un sacrement ineffaçable. Aux yeux du Seigneur et de ses employés, quand on a été baptisé, c’est pour les siècles des siècles. No way back, comme on dit en latin de messe. De ce fait, l’Église souvent ne supprime pas le nom du registre, mais se contente d’y apposer une mention dans la marge.
Et en même temps, paradoxalement, c’est du lourd, car c’est un acte d’apostasie : l’apostat s’exclut de la communauté et renonce aux sacrements. Pour la communion dominicale ou l’extrême onction, vade retro. C’est ce que rappelle sèchement à notre lectrice l’archiviste diocésain du Puy-en-Velay, au terme d’un courrier laconique accusant réception de sa demande, sur un ton peu charitable : « Dès lors, il va de soi très logiquement que, renonçant aux sacrements de l’Église catholique, vous ne pourrez prétendre également à la célébration de funérailles chrétiennes. Et que vous aurez l’obligeance d’en informer qui de droit. » À bon entendeur… Même post mortem, vade retro mais no way back, comme on dit « très logiquement » en latin de messe.
Evêché du Puy-en-Velay
2, place du For
43 000 Le Puy en Velay
Ayant reçu mon baptême à l’église de *** à Pâques 1989 sous le nom de Laure, je vous fais part, par la présente, de ma volonté d’être débaptisée.
J’ai toujours respecté le choix de mes parents de m’avoir fait baptiser sans attendre que je sois en âge d’exprimer cette volonté. Comment peut-on reprocher à des parents de vouloir le meilleur pour leurs enfants ? Leur foi et leur intégration dans la communauté chrétienne étaient une source d’épanouissement qu’ils voulaient nous transmettre. Je n’ai aucun reproche à leur faire de ce point de vue.
Je respecte toutes les fois. Par ailleurs, les dogmes, les Eglises et tous ces systèmes qui endoctrinent, manipulent, exploitent, enferment, assassinent, volent et violent chaque jour et sur toute la planète, me révoltent. Je ne souhaite plus que mon nom, par mon baptême soit associé à toutes ces exactions.
L’Eglise, aujourd’hui, n’est pas seulement un obstacle à l’égalité entre hommes et femmes, mais elle favorise les inégalités entre eux. Elle véhicule une image patriarcale de la famille où la femme doit se soumettre à l’homme.
Je ne cautionne pas le positionnement et l’attitude de l’Eglise envers les personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres. Personne ne doit être exclu sur la base de ses orientations sexuelles. En soutenant les manifestations contre l’égalité des droits qui ont eu lieu en France, l’Eglise a activement participé à la recrudescence de l’homophobie et a milité pour que tout le monde n’ait pas les mêmes droits !
De plus, malgré la loi 1905 concernant la laïcité et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’Eglise profite de son influence pour agir sur l’appareil législatif. Si l’Eglise continue à discriminer dans le cadre de son mariage religieux, elle n’a pas à intervenir sur le mariage civil.
Le baptême systématique, encouragé par l’Eglise, permet de gonfler les chiffres des membres de la communauté chrétienne pour lui permettre d’exercer un lobby sur les législateurs, nous sommes pourtant nombreux à avoir été baptisés et à ne pas adhérer aux idées exprimées par celle-ci. Je ne souhaite plus que mon baptême participe à cette manipulation, je ne souhaite plus que mon nom figure dans vos registres.
Je ne souhaite pas faire partie d’une communauté trop souvent concernée par des cas de pédophilie et de viols. C’est quand j’ai su que de tels faits s’étaient produits à plusieurs reprises dans la paroisse où j’ai reçu mon catéchisme que j’ai compris que ces crimes se perpétraient depuis des milliers d’années, encore aujourd’hui, sur toute la planète et de manière presque banale. Et tout cela, sans aucune réaction de l’Eglise qui étouffe les affaires de pédophilie et préfère muter les prêtres violeurs au lieu de les rendre à la Justice, se rendant ainsi complice de ces abus sexuels. Les paroissiens, sous l’emprise du dogme de l’Eglise, sont témoins et défendent ce fonctionnement.
C’est pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, que je vous demande de radier mon nom, et toutes autres données me concernant, du registre des baptêmes et de tout autre fichier manuscrit ou informatisé que vous détenez.
Cette lettre fait office de décision définitive, il est donc inutile de me demander une quelconque confirmation.
Veuillez noter que, légalement, l’Eglise ne peut refuser une requête en débaptisation, et qu’elle doit, au titre de la réglementation de la Commission Nationale Informatique et Liberté sur les fichiers même manuscrits, fournir à titre gracieux un double de l’acte modifié. Je suis donc dans l’attente de votre confirmation écrite.