Éditorial
Saxifrage n’est pas un journal professionnel. Tu parles d’un scoop ! on le rabâche dès qu’on peut. Aussi celui qui raque deux sous n’enrichit personne mais alimente le pot destiné à l’imprimeur : l’encre et le papier, qu’on ne sait toujours pas pondre nous-mêmes. Pour le reste, tout se fait dans le temps libre, et se fait d’autant plus librement. Mais aussi plus lentement, et il faut trois bons mois pour parvenir à quelque chose qui nous satisfasse. Cette lenteur, tant mal-aimée par les temps qui courent, nous offre un certain point de vue sur l’actualité. Impossible d’évoquer les évènements de la veille, de miroiter le quotidien, de donner la priorité au direct, de commenter le brouhaha du monde. Nous ne dépêchons pas l’information ; nous allons moins vite que la musique. Nous ne prétendons pas informer de façon exhaustive et l’assumons. Car en retour notre posture est sélective : nous souhaitons donner de l’importance aux choses et nous affranchir, autant que faire se peut, de leur dimension temporelle. La police refroidit un zadiste ? démembre un Gilet jaune ? Une école ferme ? On ajoute des caméras par-ci, on se moque du monde par-là ? Pourquoi cela serait-il moins important avec le temps ? L’homme sera-t-il un peu moins mort quand il sera un peu plus tard ? Les mains, les yeux repoussent-ils au printemps ? Certes non ; nous n’avons pas l’esprit de prescription. Bien sûr la fabrication d’un journal suppose une forme de linéarité, dont nous nous acquittons : il faut bien dire les choses dans un ordre, ligne après ligne, un numéro après l’autre. Mais ceci est sans importance et tient à de basses contraintes techniques. Le lecteur doit pouvoir se hasarder, relire un numéro au pif, redécouvrir ce qui a eu lieu… ce qui aura toujours eu lieu ; comprendre que la date des évènements n’est rien à côté de leur sens, c’est-à-dire, aussi, à côté du sens que nous leur avons donné : de la façon dont ils nous ont touchés. Le premier Saxifrage n’est pas moins actuel que celui-ci ; la cime non moins essentielle que la racine.