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Meeting de campagne

Gérard Poujade

Photo de Jikabo
Photo de Jikabo

Gérard Poujade, maire du Séquestre, a publié sur le blog de Médiapart un compte rendu de l’étape souillagaise (18 janvier) du « grand débat » itinérant du président Macron. Nous en reproduisons ici des extraits qui portent sur le dispositif, l’ambiance, et le ressenti que lui a inspiré ce raout.1

Maire d’une commune du Tarn, je me suis rendu vendredi à Souillac, pour assister et (je croyais) participer à la réunion proposée par le président de la République. J’ai analysé la manière dont le tout était organisé, et la communication mise en place. Et comment il n’y a pas eu une seule seconde de débat, puisque personne n’a pu répondre au président.

Grand débat national à Souillac ! C’est le Canard enchaîné qui en parlait le mieux : c’était « le grand floutoir ». J’ai rarement assisté à une réunion aussi mal organisée, mais peut-être aussi bien pensée. Le président Macron a donné une courte introduction, dans laquelle il appelait au consensus. Mais un consensus, il faut le passer avec les autres, pas entre soi. On va voir où se situe le problème. Il y a eu les 30 à 40 questions d’élus choisis – paraît-il – par les préfets. Si l’intervention du représentant des maires ruraux du Lot qui a « bousculé » Macron a été relayée comme un moment de grande liberté de parole, il faut bien reconnaître que cela aura été le seul.

Les intervenants avaient été bien choisis pour qu’il n’y ait pas de vagues. Et il n’y en a pas eu. Au fur et à mesure des interventions, chacun y est allé de sa route nationale qui n’a pas été refaite, de son intercommunalité qui marche mal, de son petit quant-à-soi local. Dans la salle, nous étions nombreux à recevoir ces SMS de personnes qui suivaient le débat, et qui nous écrivaient : « le rendu est nul », « affligeant », « niveau zéro de la politique », « de la soupe »… Et dans la salle aussi, un vrai malaise devant le grand hors-sujet qui se mettait en place.

Qu’est-ce qu’ils ont dit, ces 30 à 40 maires préalablement choisis ? Le sujet le plus souvent évoqué fut les intercommunalités, la loi NOTRe, et plus largement le naufrage que le mouvement intercommunal promet aux mairies. Il est clair qu’il faut arrêter d’intercommunaliser des compétences pour le bon plaisir de l’État ou des préfets. Il faut mutualiser ce qui doit l’être et rendre aux communes ce qu’elles font mieux qu’un service regroupé. Mais il est clair que tout l’appareil d’État, et plus encore celui-là que tous ces prédécesseurs, déteste ce monde des petites communes. Ce sujet, le plus évoqué donc, n’est vraiment pas celui qui est évoqué par les Gilets jaunes.

Telle que s’est déroulée la réunion, on pouvait penser à un congrès régional des maires qui se serait passé indépendamment de ce qui se passe dans le pays. Il y a eu un moment fort, quand le maire de Trèbes a pris la parole. C’est le seul moment où il y a eu une vraie salve d’applaudissement. Je ne connais pas ce maire, j’ai vu qu’il ne s’attendait pas à ce qui lui est arrivé quand on lui a donné la parole. Je me reconnais dans cet élu. Le sujet absent : les Gilets jaunes !

Le plus étrange dans ce débat, c’est en effet l’absence de relais des questions posées par les Gilets jaunes, à trois ou quatre exceptions près. Il me semble qu’un seul a évoqué l’ISF, alors que ce sujet a l’approbation de 77 % des Français. Le président Macron a dû le regretter, car alors que personne ne lui avait encore posé la question, dans les tout premiers moments de son intervention, il a plaidé pour le bien-fondé de son cadeau aux riches, avec un nouvel argument. Sur le référendum d’initiative citoyenne, pas une question de la part des maires, ni d’intervention de la part du président. Sur la réforme des institutions, les questions posées étaient pour le moins homéopathiques. Nous étions très loin des questions sur une éventuelle sixième République. Que les admirateurs du président se rassurent. Sur les GAFAM, tout le monde peut dormir tranquille, car pas une seule question n’a été posée, et plus largement sur les multinationales, sur le glyphosate, sur les paradis fiscaux : ces termes mêmes n’ont jamais été employés. Tout au plus, un élu, manifestement macronien, a dit qu’il fallait protéger la liberté de la presse.

Et puis quelques moments de grande solitude, car près de la moitié des intervenants étaient des proches de Macron qui se devaient d’intervenir pour servir le président. Il y a eu cette ex-candidate de La République en marche du Lot, qui a proposé, parmi les « solutions », de passer le permis à 17 ans. Et le référent En marche qui propose de créer un nouvel impôt (sic) : certainement quelqu’un qui aura été attentif à ce qui se dit dans son propre camp sur le ras-le-bol fiscal. Grandes solitudes et murmures consternés dans la salle.

Il faut immédiatement tordre le cou à une expression : il ne s’agit pas du tout d’un grand débat. Un débat, un échange, c’est une situation où une personne donne une opinion, une autre lui répond, et la première peut revenir sur la réponse donnée et permettre à ce jeu de ping-pong de se poursuivre. En l’occurrence, il ne s’agit pas du tout de cela.

Étape 1 : les préfets choisissent ceux qui vont poser des questions, manifestement ceux qui ne vont pas faire de vagues. Étape 2 : un moment très bref, mais très théâtral pour le démarrage de la réunion. Il m’a semblé que quelques élus (la présidente de Région, le président du département du Lot) voulaient aller accueillir le président. Il y a eu comme un moment de flottement, car pour entrer face à la caméra principale, il fallait que le président entre seul, en majesté. Et j’ai été surpris aussi par la nécessité de devoir s’asseoir avant que tout ne commence. Là aussi, ce moment avait quelque chose de très calculé pour que, lors de l’arrivée du président, il y ait un mouvement commun où l’on voit se lever l’assistance. Il y a eu les applaudissements. J’ai lu plus tard qu’il y avait eu une ovation : dans la salle, les applaudissements ont été mezza-voce, et surtout très courts. Pour avoir participé à quelques réunions publiques, j’ai vu plus nourri, comme accueil. Mais cette étape est très importante, car elle participe de la mise en scène très calculée d’une vassalisation des intervenants.

Étape 3 : la fixation des règles du jeu, et quid de la participation citoyenne ? Ce qui s’est passé là, c’est le contraire de la participation : c’est la vassalisation que provoque le jeu des questions-réponses. Dans une démarche de démocratie participative, il est important que dans la salle où des personnes contribuent à l’élaboration d’un projet, celui qui est l’élu de plus haut rang n’intervienne pas. Pour une raison fort simple, si l’élu de plus haut rang doit répondre, les autres personnes dans la salle ont naturellement envie de connaître ce que celui-ci pense de tel ou tel sujet. C’est une technique d’asservissement en réunion. Tous ceux que l’on met dans une posture d’attente de réponse ne proposent plus rien au « débat », mais mettent en scène l’organisateur. Ceci était très bien fait.

Étape 4 : les 30 à 40 questions. Il faut bien se le dire, dans la salle, c’était l’overdose, long, fastidieux, les interventions très inégales, quelques-unes franchement ridicules. Mais cela fait partie du jeu. En faisant prendre la parole à une telle quantité de personnes, les organisateurs étaient à peu près sûrs que tous les aspects de la politique gouvernementale seraient abordés de près ou de loin. De plus, la cacophonie forcée liée à la multiplicité des acteurs permet de faire apparaître le discours porté par un seul homme comme étant plus cohérent.

Étape 5 : le président va répondre. À partir de l’étape 4, l’exercice pour le président devient ultra-simple. Pour celui qui répond à tout, il suffit de prendre en note, dans l’ordre des prises de paroles, les sujets abordés par tous les intervenants, puis de dérouler son plan d’action sans rien changer de ce qu’il dit depuis qu’il est en place. Ce qui m’étonne, c’est que des chroniqueurs qualifient cela de « performance ». Je suis à peu près sûr que ce même exercice proposé à tout président de région donnerait le même résultat. Et de la même façon, si vous posiez 40 questions à un menuisier sur son métier, et qu’il ait une bonne qualité à l’oral, il fournirait une qualité de réponse équivalente. En fait, tout tient à ces quelques mots, « la bonne qualité à l’oral ». En cela, le président Macron sait manier les mots, personne ne le nie. Mais ce n’est pas forcément ce qui fait sens. À noter quand même qu’une bonne cinquantaine de personnes avaient déjà quitté la salle au moment où le président a pris la parole.

Étape 6 : du grand « floutoir » au grand foutoir. Avec cette méthode, il n’y aura eu aucun échange avec la salle. Après tout, même avec le jeu des questions-réponses, on aurait pu imaginer qu’un(e) maire mécontent(e) de la réponse présidentielle puisse reprendre la parole et dire son désaccord, mais l’organisation était conçue pour que cela ne soit jamais possible. Ce président n’aime pas se faire contredire en public, et tout était organisé pour que ce ne puisse être le cas.

L’exercice n’est pas très compliqué au final. C’est une pièce de théâtre dans laquelle il n’y a pas tellement besoin d’improvisation, et où le sujet principal n’est pas abordé. Pourquoi le pays est en crise ? Pourquoi y a-t-il tant de monde dans les rues ? Pourquoi ce mouvement dure ? Pourquoi, malgré l’usure du temps, conserve-t-il une popularité dans la population ? Il n’y aura pas eu grand-chose pour répondre à ces questions. Car il faut bien le reconnaître, il ne s’agissait pas d’un débat, nous étions bel et bien dans un meeting de campagne.

Enfin cette réunion aura été pour moi l’occasion de découvrir ce que l’on appelle la Macronie. En fait, je comprends pourquoi ce n’est pas un parti politique : c’est un fan club. Dans la salle qui avait été en grande partie remplie par ce que l’Occitanie compte d’élus LREM, que j’estime à vue de nez à une centaine de personnes présentes, le comportement que j’ai le plus observé est… la pamoison. C’est très drôle, car j’ai vu des élus de Midi-Pyrénées que je connais depuis fort longtemps, me dire spontanément à quel point Macron était génial… pour certains, même avant qu’il ne parle. La Macronie, c’est aussi d’autres comportements. Ce sont ces députés – de Haute-Garonne, me semble-t-il – qui se photographient à tour de rôle debout, avec les élus assis en masse en fond de photo. Je ne suis pas un expert en photo, mais je vois bien le sentiment qu’il y avait à distinguer l’élu(e) qui fait partie de l’élite et la masse besogneuse des ruraux de l’étape.

Mais le plus explicite est l’attitude de toutes ces personnes qui accompagnent les élus. On les suppose être des assistants des ministres, peut-être de la présidence. Ils sont tous très jeunes, sont sans cesse sur leur smartphone, debout ou à tourner autour de la salle, facilement reconnaissables. C’est très intéressant d’observer ce qui se passe dans cette coulisse. Les maires qui se sont succédé pour intervenir, il faut le dire aussi, ont eu des niveaux de pertinence inégaux. Mais chez tout ce monde que l’on qualifie de « parisien », les haussements de sourcils, les regards entendus, les mimiques déconfites sont autant de révélateurs du « président chez les ploucs ». Macron a répondu au maire du Lot, qui l’interpellait sur sa façon de parler et de mépriser les gens, en niant la stigmatisation. Mais ce mépris n’est pas que celui du président : nous sommes des ploucs pour ces gens-là. C’est juste effrayant.

Gérard Poujade

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