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Le circuit d’Albi à un train de sénateurs

Jean-Pierre Cuq

Le circuit d’Albi continue de faire du bruit. Certes beaucoup moins au Séquestre où, depuis le retour de la régie municipale, plus grand-chose ne se passe. Les fortunés amateurs de bolides sont partis faire joujou ailleurs, et les compétitions ont baissé de niveau car le circuit n’est plus adapté aux désirs des pilotes de haut niveau. Même le Grand prix camions, grande attraction annuelle, a vu cette année défiler plus de voitures que de poids lourds. En effet, ces engins endommageant fortement la piste, il est vivement recommandé de les faire rouler le moins possible. Les riverains ont gagné en tranquillité depuis que Didier Sirgue et sa société DS Events ont jeté l’éponge, récupérant au passage 50 000 € d’indemnisation. Le projet mirifique d’un Disneyland du véhicule électrique (voir « On tourne en rond », Saxifrage n° 27) semble pour l’instant au point mort, aucun repreneur ne se manifestant pour aménager la piste et gérer cette hypothétique poule aux œufs d’or.

Le conflit entre DS Events, d’un côté, et la mairie du Séquestre et les riverains, de l’autre, n’en persiste pas moins. Rappelons rapidement l’historique, pour ceux qui auraient loupé les précédents épisodes. Le circuit automobile d’Albi, créé en 1962, présente la particularité d’appartenir à la ville d’Albi mais d’être situé sur la commune du Séquestre. En 2015, le circuit, géré jusque-là par une association, et qui disposait d’une autorisation pour douze jours de bruit par an (une compèt au printemps, une autre à l’automne), devient une délégation de service public gérée par une société privée (DS Events) dirigée par Didier Sirgue. La nouvelle convention précise que 210 jours de bruit seront autorisés chaque année. Ce qui change les relations avec le voisinage…

En 2017, une nouvelle loi Santé est promulguée, qui définit le niveau de bruit acceptable aux abords des aéroports, des circuits, des rocades et de toute infrastructure en général. Les riverains excédés demandent, et finissent par obtenir, la pose de capteurs de bruit aux abords de la piste et dans le village du Séquestre. Les 90 premiers jours de contrôle révèlent un dépassement des normes autorisées 58 fois, c’est-à-dire chaque fois que le circuit a été utilisé. Une plainte est déposée par la commune du Séquestre, l’ARAAS (Association des Riverains de l’Autodrome d’Albi Le Séquestre) et 44 riverains qui se portent partie civile. DS Events est condamné à environ 90 000 € d’amende. En appel, la peine est ramenée à 30 000 €, seuls trois des 44 riverains ayant relevé l’appel (les autres ont abandonné).

Didier Sirgue ne se décourage pas et porte l’affaire en Cour de cassation. Et là, contre toute attente, et contre l’avis de l’avocat général qui avait demandé la confirmation de la peine, le jugement de la cour d’appel de Toulouse est cassé. Le motif est pour le moins surprenant. En effet, le juge suprême a constaté qu’il y avait une erreur dans le libellé de l’accusation. DS Events avait été condamné pour « émission de bruit supérieur aux normes lors d’une activité culturelle, sportive ou de loisir non réglementée en matière de bruit ». Or, le juge a estimé qu’un circuit automobile est réglementé en matière de bruit car objet d’une homologation, ce qui rend caduque l’accusation. Il y a de quoi s’interroger sur la compétence des premiers juges qui, visiblement, n’y avaient vu que du feu.

L’histoire ne s’arrête pas là, car 119 infractions ont été relevées dans les mois qui ont suivi les 58 premières, faisant elles aussi l’objet d’une plainte, ainsi que 117 l’année suivante. DS Events a été condamné pour ces 119 infractions au tribunal de police d’Albi. Le jugement de la cour d’appel aura lieu ce printemps, et il est intéressant de noter qu’on peut modifier le libellé de l’infraction avant l’appel, ce qui devrait éviter l’erreur de la première tentative. Les 117 infractions suivantes n’ont pas encore été jugées. Entre-temps, DS Events s’est retiré de la gestion du circuit, la mairie du Séquestre a pris des arrêtés limitant le nombre de voitures autorisées à tourner, et les riverains profitent du calme revenu.

La mairie d’Albi ne renonce toutefois à rien, et le Sénat fut en 2023 le lieu de sa contre-offensive. Une commission sénatoriale ad hoc a été créée, composée de sénateurs présentant la particularité d’avoir un circuit dans leur département. Cette commission propose, ni plus ni moins, que les circuits automobiles soient exemptés de l’obligation de respecter la loi Santé de 2017. Une proposition de loi doit être déposée dans ce sens, mais il semblerait qu’une modification du Code de santé publique ne soit pas envisagée par le gouvernement, qui a publié une sévère mise au point le 5 décembre 2023. On peut noter que le circuit d’Albi est représenté par Philippe Folliot, toujours dans les bons coups, et non par Philippe Bonnecarrère, sénateur lui aussi et ancien maire d’Albi. Peut-être se souvient-il avoir déclaré il y a quelques années que, le circuit d’Albi étant situé en zone urbaine, il n’était pas question qu’il devienne permanent. La maire d’Albi était présente lors de la réunion de la commission sénatoriale, dans les rangs du public. Elle fut saluée par le président de séance ainsi que – détail anecdotique mais révélateur – par Amélie Oudéa-Castéra, alors simple ministre des Sports avant de réaliser en 28 jours un fulgurant tour de piste au ministère de l’Enseignement privé, devenant ainsi détentrice du record de vitesse sur le circuit de la rue de Grenelle.

Jean-Pierre Cuq

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