Vroum vroum hors-la-loi
Jean-Pierre Cuq & Florian Jourdain
Le circuit d’Albi est en fait situé au Séquestre, dont un des acteurs principaux n’est autre que Gérard Poujade, maire de cette petite commune périurbaine depuis 2001. Cet ancien du Parti socialiste n’est pas ce qu’on pourrait appeler un petit élu. En effet, l’homme est actuellement vice-président de la communauté d’agglomération de l’Albigeois en charge du développement durable, ancien président du SCoT1 de l’Albigeois, ancien vice-président de la région Occitanie en charge du sport et de la vie associative. Poujade a également occupé la présidence de l’ARPE2 Midi-Pyrénées et celle du RARE3. C’est donc un personnage politique local de premier plan que nous avons rencontré dans son bureau, le mardi 9 octobre 2018.
Pouvez-vous nous expliquer la situation actuelle du circuit ?
On est sur une propriété privée. Il se trouve que le propriétaire est la ville d’Albi. La ville d’Albi a passé une DSP – délégation de service public – où il n’y a eu qu’un seul soumissionnaire – Sirgue. Sirgue ou plutôt DS Events, gère ça dans le cadre de l’homologation du circuit, fournie par l’État.
Pouvez-vous apportez des précisions sur cette homologation ?
Le circuit est homologué à tourner dans certaines conditions. L’homologation concerne les règles à l’intérieur du circuit, donc c’est pour ça que nous on n’a pas grand-chose à y voir, même si, lors de la prochaine homologation qui va avoir lieu dans 15 jours, on est censé participer à cette réunion d’homologation, avec un jeu trouble de la Préfecture qui ne nous prévient pas, ne nous convoque pas, on apprend qu’il y a cette réunion d’homologation par la presse. Ensuite, il y a un décret paru le 7 août 2017, qui indique quelles sont les émergences de bruit qui ne sont pas acceptables dans le Code de la santé publique. Donc moi, ma demande auprès de la Préfecture, auprès des services publics, c’est de faire appliquer ce décret. Pour faciliter même les éléments de mesure de ce décret, j’ai pris un arrêté pour dire où il fallait prendre les mesures. Aujourd’hui, la Préfecture ne veut pas faire appliquer cet arrêté, et elle l’a même attaqué au tribunal administratif. Parce que je fais référence au décret d’homologation et que je ne peux remettre en cause ce décret. Ce prétexte est fallacieux – c’est ce qu’on va défendre – parce que ce n’est pas ce qu’on attaque – d’ailleurs on n’attaque rien du tout, on met en avant le fait de personnaliser au Séquestre le décret de 2017 par l’arrêté d’homologation pour faire en sorte que la gendarmerie et l’ARS – Agence régionale de santé – puissent faire les mesures d’émergence de bruit, et toujours rien ne se passe…
Des officiels de l’État sont déjà venus relever le bruit ?
Non ! Ce sont toujours des sociétés. Il y a eu deux prises de son : une première prise de son suite à l’action que l’on mène juridiquement contre le circuit pour trouble anormal du voisinage. Le tribunal a missionné un expert qui est passé en 2017, qui a apporté les preuves que le circuit était dans la totale illégalité vis-à-vis du décret au niveau du bruit. Aucune suite… Il y a eu une autre mesure qui a eu lieu – ça, c’est à la demande des réunions qui se tiennent à la Préfecture – entre la Préfecture, le circuit, la Mairie et les associations de défense des riverains, où on a fait intervenir, pour les deux jours où se sont déroulées les courses du Grand Prix en juin 2018, un expert qui a montré que, sur un des points les plus proches du circuit, les émergences sont bien au-delà de 5 décibels.
Dans quelles proportions le circuit dépasse le bruit autorisé ?
Pour donner un ordre d’idée, une émergence ne doit pas dépasser 5 décibels, et on arrive parfois jusqu’à 25 ! On n’est pas dans des fractions. On n’est pas dans l’épaisseur du trait. On est dans des émergences excessives, y compris par rapport au décret.
Une fois que vous avez ces éléments, que pouvez-vous faire ?
On a porté plainte. Aujourd’hui, on a trois cibles : premièrement, Sirgue, qui ne respecte pas le voisinage – d’où la plainte portée contre lui pour trouble anormal du voisinage, on passe au tribunal le 26 octobre, c’est la prochaine étape, où le tribunal va dire s’il est compétent pour juger ou pas. Ensuite, la deuxième cible, c’est la Préfecture, dont on ne comprend pas pourquoi elle ne veut pas faire appliquer le décret. La Préfecture, elle est censée faire appliquer la loi. Nous, on reproche à la Préfecture de ne pas faire appliquer la loi. On a envoyé un dossier au médiateur, on écrit régulièrement à la Préfecture. Régulièrement, je rédige une plainte que j’envoie au procureur sur le trouble anormal du voisinage. Enfin, la troisième cible, c’est quelqu’un que personne ne va voir, c’est le procureur, qui a reçu plus de 300 plaintes de particuliers. Moi, j’écris un courrier par semaine où je porte à sa connaissance la plainte que je souhaite développer suite au non-respect du bruit. Une fois par semaine, on porte plainte contre toutes les journées qui ont été bruyantes pour que le procureur ait connaissance des dates et qu’il génère une instruction de la plainte. En gros, ce qu’on ne comprend pas, c’est pourquoi le procureur n’instruit pas ces plaintes. Nous, si on n’a pas l’appui des services de l’État pour mesurer le bruit, pour faire arrêter le bruit, on n’a pas de force de police, je n’ai pas d’employé municipal policier qui peut aller sur le circuit pour arrêter ça : c’est la gendarmerie, et la gendarmerie n’a pas l’instruction de la Préfecture pour faire quoi que ce soit. Nous, on alerte tous les interlocuteurs que la loi n’est pas respectée, et personne ne cherche à la faire respecter.
Quels sont vos rapports avec la ville d’Albi ?
Je ne comprends pas les positions que prend la ville d’Albi parce que la ville d’Albi – dans la présentation que je viens de vous faire – n’entre pas dans les motifs de grief. En fait, ce qui se passe, c’est que la ville d’Albi a fait une DSP – politiquement je peux avoir un avis sur l’utilité de faire une DSP ou pas, mais ça, c’est autre chose. Mais l’utilisation du circuit, ce n’est pas un problème, c’est-à-dire que le fait qu’elle délègue à quelqu’un la gestion du circuit, ça peut s’entendre. Ce qu’il y a, c’est que l’usage qui est fait par le locataire pose problème. Si DS Events ne faisait tourner que des voitures électriques ou à hydrogène, on serait peut-être les premiers à faire la promotion de ça, on serait dans un tout autre rapport. C’est pour ça que, pour nous, la ville d’Albi n’est pas notre cible, même si je pense qu’ils ont tort de faire ce qu’ils font là.
La ville d’Albi aurait-elle le pouvoir d’agir sur cette situation ?
Oui, même si c’est compliqué quand même. Imaginez que vous êtes propriétaire de la maison qui est à l’angle. Vous avez un locataire qui fait la fête tous les soirs. C’est pas un problème, la gendarmerie viendra. En tant que propriétaire, vous n’êtes responsable de rien quand même. Au début, la toute première plainte qu’on avait déposée, c’était contre le circuit et contre la ville. La deuxième plainte, celle qui est en cours, n’est plus que contre le circuit, parce qu’on a vu que du point de vue du droit, la plainte contre la ville n’a pas de sens car, à la limite, rien ne dit que la ville d’Albi ne va pas porter plainte contre le circuit qui ne respecte pas la loi. Aujourd’hui, de par les déclarations de presse, on voit que la ville d’Albi soutient le circuit, car elle dit qu’il respecte la loi. Je ne sais pas comment elle fait pour le savoir. Mais nous, d’un point de vue strictement légal, on essaie d’être très précis là-dessus, parce qu’à faire des amalgames, où on met dans une même plainte des gens qui sont impliqués dans la nuisance et d’autres qui ne sont pas directement concernés, on se retrouve en difficulté devant le juge.
Malgré tout, n’y a-t-il pas des retombés économiques pour la commune du Séquestre ?
Aucune, même sur l’agglomération. Il y avait des journalistes qui étaient venus au moment du Grand Prix, et ils avaient téléphoné à différents hôtels de la ville d’Albi : aucun hôtel n’était plein. Historiquement, le Grand Prix d’Albi dont tous les nostalgiques parlent, ils vous disent que c’était l’événement de la rentrée. Effectivement, jusque dans les années 1970, quand il y avait le Grand Prix, en septembre, vous ne pouviez pas réserver une chambre d’hôtel dans pratiquement tout le département du Tarn. Il fallait réserver jusqu’à Toulouse. C’était une véritable manifestation qui attirait du monde. Là, en juin, quand il y a eu le Grand Prix, le journaliste qui avait fait le tour des hôtels affirme qu’il n’y en avait aucun qui était plein. Les retombées économiques, il n’y en a pas, je parle pour l’agglomération. Pour la commune du Séquestre, il n’y en a aucune, on ne touche pas d’argent, rien.