Éditorial
N’empêche, t’as pas l’air con quand ça fait deux ans que tu mobilises le champ lexical de la guerre pour faire la peau à une contagion virale, et qu’une guerre en chair et en os pointe le bout de son obus. T’as pas l’air con, avec ta communication, ton pouvoir d’exception, ton surcroît d’autoritarisme, d’avoir encensé le front du soin, la guerre sanitaire, la mobilisation générale, d’avoir donné dans le couvre-feu, dans la propagande et les restrictions des libertés, t’as pas l’air con, maintenant, de proposer, à ceux – soi-disant tes amis – qui prennent les bombes, le feu, la mitraille et la fuite… un couloir humanitaire. Tragi-comique du chefaillon de chez Rothschild, qui entre en guerre pour fourguer de la piquouse, et se pique d’un couloir humanitaire quand il pleut des bombes.
Certes, l’obus n’est pas le virus, et d’abord ils n’ont pas les mêmes effets secondaires. Mais quand même : le quidam spectateur, perfusé d’actualité, entre un choc sanitaire sans fin et une guerre en armes, aurait bien pris deux jours de rien. Un cessez-le-feu dans sa tête. Hélas, la crise compose maintenant son milieu de vie, tout comme la bouillie informationnelle. Fait curieux : la guerre, malgré son éternel retour, ou plutôt sa continuelle présence, ne manque jamais de ressusciter l’émoi merveilleux du constitutionnaliste offusqué : le droit international n’est pas respecté !, les civils sont pris pour cible, ainsi que leurs édifices !, des journalistes disparaissent !, les gestes barrières ne sont plus respectés ! C’est bien sûr insupportable. Mais il faut dire à ces messieurs-dames qu’une « guerre propre » ne saurait exister. Si deux pays pouvaient trancher un différend en s’accordant sur le droit international et en respectant les innocents, le CIO pourrait supplanter l’ONU, et on appellerait ça un match. Mais non. La guerre s’en prend aux innocents, elle est, comme disait Valéry (pas le nôtre, Paul), un éternel « massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas ».
L’impérialisme n’a pas de cesse. Comme le reste : nous l’ignorions sans l’ignorer, bercés par un programme d’Histoire bien foutu. Éducation civique au poil. Les peuples, appelés par la Nation, vivent dans son Histoire, qui à tous leur intime d’en être les vainqueurs. Mais les vainqueurs sont d’abord ceux-là « qui se connaissent », et qui rédigent les manuels. D’où, peut-être, cette réaction de CHA lors de notre dernière réunion : « Moi Poutine, je m’en occuperai quand il aura franchi le panneau Carmaux ! » Position provocatrice et discutable, pour qui ne considère pas l’obus comme le virus. Mais position réaliste, si l’on considère le pouvoir réel que nous avons sur le cours des choses. Car enfin !, on n’arrive même pas à s’occuper de la commune.
Cette frasque peut aussi vouloir dire : mieux vaut accueillir les déserteurs et les réfugiés – et pas juste les Ukrainiens – que d’agiter ses bras dans la lumière de la télé. « La race, ce que t’appelles comme ça, c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça les Français. » (Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932).
Les vaincus des quatre coins du monde.