Éditorial
Policémie
Les histoires qui trouvent un écho dans Saxifrage ont quelque chose de policier. Non que toutes soient à mettre au compte de ce groupuscule bleuté – dont la compétence première consiste à articuler le sourire bienveillant au port de l’arme létale – mais parce que toutes ont à voir, en fait, avec le sens le plus étendu de ce mot. « Police » renvoyait autrefois à l’ensemble des dispositifs prévus pour l’organisation de l’ordre étatique et son maintien : de l’écriture de la loi jusqu’à la pénalisation du déviant – de la plume à la matraque – en passant par l’ensemble des moyens d’administration qui ordonnaient le corps social de façon non coercitive. Comme dans la classe, l’Ordre promettait la punition à ceux qui boudaient ses leçons, mais c’était principalement des leçons qu’il fallait tirer quelque chose : une soumission policée. Nous y sommes encore : de la répression des réfugiés à la numérisation de tout, en passant par des exemples réguliers de la corruption politique, l’actualité se compose d’abord de cette chaîne d’événements où la police affleure… où les polices affleurent ! Police administrative, police économique, police sanitaire, police citoyenne, police des mœurs, police technicienne, police médiatique, et évidemment police armée. Bref, pour reprendre ce mot de La Rumeur : « la meilleure des polices ne porte pas l’uniforme ». Et, dans cette perspective, la police armée devient primordialement un symbole (qui manifeste contre les violences qui lui sont faites !), censé concentrer l’attention sur lui, et faire oublier ce qui constitue vraiment la police. Présentement, l’ordinateur et l’administration diffusent plus activement du pouvoir que la maréchaussée. « Police partout » est, à bien y regarder, une expression dont le double sens est salutaire. Non plus un policier en tout lieu, mais police en toute chose. Et en toute chose, les contrevenants ordinaires se font jour et il faut aussi les faire connaître. C’est qu’en théorie une police omniprésente accule chacun à la soumission ou au délit, comme celui de secourir son prochain ou de résister pacifiquement à la colonisation numérique. Se rapprocher de l’Homme ou s’éloigner de la machine : voilà deux des interdits les plus fondamentaux de notre temps, qui tous deux se rapportent à un même mouvement : toujours plus de technique. Alors Saxifrage raconte des histoires de police, de ces tensions entre un ordre froid descendant et le corps humain qui s’en débat. Mille vies sous la chape : l’histoire de ces murs et de leurs saxifrages.