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Copinages en circuit fermé

Jean-Pierre Cuq & Florian Jourdain

Dessin de Clotilde
Dessin de Clotilde

Une quinzaine de jours après ces entretiens, a eu lieu la visite de la Commission nationale d’examen des circuits de vitesse (CNECV) prévue pour le renouvellement de l’homologation du circuit. Au cours de la réunion qui a suivi, le préfet, après quelques considérations d’ordre technique, a abordé la question du bruit.

Tout en reconnaissant que c’est le principal problème que pose cette activité, particulièrement les jours où l’émergence autorisée est largement dépassée, et que le Code de la santé s’applique bien dans ce cas, les solutions qu’il propose se résument à quelques pistes de limitation du bruit : diminuer les utilisations le dimanche, réduire le nombre de jours dérogatoires (jours où l’émergence légale est dépassée), abaisser le nombre de véhicules, supprimer le drift, construire des murs antibruit…

Le représentant du ministère de la Transition écologique est intervenu ensuite pour constater que ce circuit est très imbriqué dans le tissu urbain, et qu’il convient donc d’essayer de réduire l’émission de bruit. Il craint tout de même que la construction de murs antibruit s’avère inutile. Il précise enfin que le circuit d’Albi n’est ni privilégié, ni spolié dans ses conditions d’exploitation. Rien dans ses propos ne laisse entendre que le circuit n’obtiendra pas sa nouvelle homologation. Tout va donc continuer comme avant.

Une discussion a ensuite eu lieu entre les mairies d’Albi et du Séquestre. Le maire du Séquestre, comme il nous l’a dit dans l’entretien qu’il nous a accordé, mène une action essentiellement judiciaire pour essayer de protéger ses administrés. À aucun moment, il ne remet en cause l’existence ou le fonctionnement du circuit. Il se déclare même prêt à soutenir son utilisation par des véhicules électriques ou à hydrogène. Il est, rappelons-le, vice-président de la communauté d’agglomération présidée par la maire d’Albi. La municipalité albigeoise, comme à son habitude, défend les gérants du circuit et les activités qui vont avec. On peut se demander si la gêne occasionnée à ses administrés lui pose un quelconque problème. Le préfet n’intervient pas dans cette discussion. Peut-être en connaît-il déjà l’issue.

La mairie d’Albi, soutien indéfectible de Didier Sirgue, met actuellement l’accent sur l’électrique : une nouvelle délibération a été votée à la quasi-unanimité du groupe majoritaire (40 votes pour 3 abstensions – des cyclistes sans doute) afin d’« accompagner l’évolution du circuit pour accueillir des véhicules électriques ». Dans le dernier numéro d’Albi mag, le magazine de la mairie, ce même groupe majoritaire revendique d’ailleurs son vote en évoquant l’opportunité qu’offre le circuit « pour un développement d’activités économiques et environnementales » (sic). Il insiste même sur « l’importance stratégique de cet équipement ».

Comme vous pouvez le constater, Didier Sirgue et son associé bénéficient de solides soutiens, et vont donc continuer à faire joujou au détriment de la santé et du bien-être de milliers de personnes. Le changement de cap de la mairie d’Albi cache mal une astuce pour continuer à le subventionner, comme nous l’indique Pascal Pragnère. Et ce, d’autant plus que l’électrique, qui pose quasiment autant de problèmes écologiques que les véhicules à pétrole (le bruit en moins), n’est pas prévu en remplacement du thermique, mais seulement comme une activité supplémentaire, avec la création d’une nouvelle compétition appelée « e-challenge ».

La ville d’Albi, comme beaucoup de villes moyennes, est largement dominée par quelques barons locaux, alliés aux politiques qui voient en eux un moyen d’asseoir leur pouvoir et de cultiver leur image. Ces entrepreneurs, moyennant quelques subsides versés à diverses associations et largement récupérés en subventions ou en petits services, gèrent au mieux leurs affaires, et leurs distractions : par intérêt, par démagogie ou par goût, la course automobile ou, au moins, l’amour de la bagnole, fait naturellement partie de celles-ci. La voiture est pour eux à la fois une source de profit, une vitrine, une tocade un peu beauf, et le nœud de tout un réseau d’influence, le ciment qui agrège un club de notables entre mécénat, sponsoring, investissement et conflit d’intérêts.

C’est une fonction de cercle de pouvoir que le circuit partage avec le club de rugby d’Albi par exemple : un regard sur l’organigramme du SCA est instructif. Parmi ses dirigeants, on retrouve les industriels, grands commerçants et autres gérants de sociétés de la ville. Leurs domaines de compétence sont variés, grandes surfaces, bâtiment, immobilier, automobile, etc., mais ils semblent tous unis par l’amour de ce noble sport. Dans ce cénacle viril (je n’ai pas trouvé de femmes), on discute un peu rugby et beaucoup affaires. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces messieurs dans les débats qui secouent de temps en temps la ville, comme la construction du Leroy Merlin à la Renaudié, l’aménagement de diverses zones commerciales et autres immeubles, le circuit… Autant d’activités où l’entente avec les politiques est primordiale. Dans les tribunes VIP du stade ou du circuit, on pratique l’entre-soi, et la connivence qui va avec. C’est une amicale non constituée, mais active. Je n’ai pas le terme juste pour la décrire, mais je crois qu’il y a un mot italien pour ça.

Le drift

Le drift est une des disciplines pratiquées sur le circuit d’Albi. Là encore, les béotiens que nous sommes se réfèrent à Wikipédia qui le décrit ainsi : le drift (en anglais drifting, « dérive ») est une discipline de sport automobile dans laquelle le pilote contrôle le véhicule pour qu’il glisse d’un côté à l’autre de la piste bitumée. L’épreuve se déroule devant des juges : sont notés la trajectoire, la vitesse, l’angle d’attaque, et le style. Les voitures de drift sont généralement des propulsions compactes et des coupés sport de moyen gabarit. Le but est d’envoyer le plus de puissance possible aux roues arrière afin de réduire leur adhérence à la piste, et ainsi glisser en faisant accélérer la voiture. Le drift doit être maintenu tout le long du virage en utilisant presque toute la puissance du véhicule, un freinage bien calibré et un survirage très précis. En d’autres termes, cela consiste à faire des dérapages en faisant le plus de bruit et de fumée possible. Fumée de pneus surchauffés, cela va sans dire. Les jeunes des cités et d’ailleurs pratiquent la même activité sous le nom de burn (en anglais to burn, « brûler »), et les flics les poursuivent, autant que leurs Clio le permettent. Selon que vous serez puissant ou misérable…

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