C’est l’histoire d’un Naucellois, d’un muslim et d’un athée
Wil
Alors le truc, voilà quoi… je suis là, pépouze, à une table du PMU-Rapido-Tiercé-Quinté Plus du quartier. Un blanc frais dans le verre, le best of Sardou en fond de playlist téloche, et La Dépêche sur le comptoir pour tout journal intime de mes pulsions du moment.
Y’a Cédric qui déboule, son bleu de boulot plein de peinture, avec Momo, la salopette impeccable, lui. Là, y a le patron qui leur jette tout haut « Eh ben, on voit qui c’est qui bosse en France ! », et leur sert un café, un sucre pour Cédric et quatre pour Momo, le spéculoos c’est cadeau, sans même qu’ils le demandent. Momo, il fait : « Non mais c’est surtout qu’on voit qui c’est qui lave ses fringues après un chantier, en France. » Cédric, il dit : « Ouais, j’avoue, ça nique la machine, alors je frotte pas beaucoup, du coup, c’est de plusieurs chantiers qu’on voit les traces là, mais Momo, sérieux, il envoie plus que moi en vrai, mais c’est sa mère qui frotte. » Momo, il ajoute : « C’est surtout que j’en fous plus sur les murs que sur les fringues, moi. » Là-dessus, tout le monde de l’amicale des alcoolos du bâtiment et du RSA rigole de bon cœur. Je repense au film Travail d’Arabe de Philibert, faudrait que je le revoie, tiens ! Les Lacs du Connemara.
Un ange passe, mais il commande rien… sa casquette des Knicks vieillotte, juste un coucou à la faune et un œil sur le titre de La Dépêche, « Gaza : la crainte d’un embrasement ». Il commente viteuf, « Ils ont pas le cul sorti, ceux-là… », et trace, ses ailes utilitaires en double file et les klaxons qui commencent à jazzer dehors.
Je me hasarde, la faute aux glaçons et à l’humeur irlandaise : « Ouais, mais faut voir qui c’est qu’a commencé, en fait… » Silence… Je renonce pas, mais pirouette : « C’est Dieu le con, dans l’histoire. » Sur le coup, je m’imagine avoir lancé ça avec la gouaille d’un Guy Montagné ou d’un Bob Siné, même si à mon avis, ils étaient pas trop potes, je pense.
Rires épars, sauf le vieux Henri, qui lâche pas l’écran de Rapido pour voir s’il aurait pas mis dans le bon ordre cette fois, ça ferait qu’il payerait sa tournée, et ensuite rien ne changerait vraiment.
« Eh mais l’histoire, elle est vieille comme le monde, n’empêche, il a pas tort le jeune », qu’il dit le chef, alors que j’ai à peine quinze ans de moins que sa retraite qu’il prend toujours pas…. Il m’a lancé la perche à la tirade, je réfléchis à un bon mot pour la galerie, rapport au vieux monde et à sa fin de vie. Je cherche changement climatique, nanotechnologies, guerre nucléaire, transhumanisme, mais tout ce qui me vient au final, la faute aux glaçons, c’est : « Non mais en vrai, le problème c’est la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent. » En fond : « Ne m’appelez plus jamais France, c’est ma dernière volonté… » Trompettes, violons, piano, break de batterie, apothéose, puis silence. Momo, il le brise, et il fait : « Le problème, c’est que les Palestiniens, ils ont pas le même dentiste que les Israéliens, il leur prend plus cher. » Cédric, il dit : « C’est par rapport à l’argent que tu dis ça ? » L’autre, il dit : « De quoi, l’argent ? »
Cédric — Ben, il leur prend plus cher, tu veux dire que les Juifs c’est des rapias ?
Momo — De quoi, des rapias ? Moi, je connais des feuj pauvres, hein…. Et puis c’est pas la question…
Cédric — Ouais, mais là t’as dit…
Momo — J’ai dit quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que tu dis que j’ai dit ?
Cédric — Ben, tu insinues… Non ?
Momo — J’insinue rien, je te dis que les Palestiniens ils payent plus cher, c’est tout.
Cédric — Attends, si on fait les comptes, les Juifs ils ont payé comme il faut, et d’avance, même…
Momo — Oh ça, on sait pas tout, hein… parce que…
Le chef — Oh oh oh ! On se calme, là, moi ce que je sais, c’est que les deux cafés, ils font trois euros, et que sucre ou pas sucre, c’est le même prix pour chacun !
Momo — Attends, mais tu crois qu’on rejoue le match, là ? C’est parce que je suis marocain, c’est ça ?
Cédric — Hé, je suis pas juif moi, je suis de Naucelle…
Le chef — On s’en fout, d’où tu viens, tu crois ce que tu veux, et lui aussi il croit ce qu’il veut… Mais chez moi, c’est le même prix pour tous les deux.
Momo — Mais je suis même pas muslim moi, je bois de l’alcool et tout, vous vous foutez de moi, là ?
Cédric — Ah bon, t’es pas muslim, toi ? Mais tu fais ramadan là, et tu supportes l’Algérie au foot…
Momo — Quoi, je fais ramadan, qu’est-ce que ça peut te foutre, je fais ce que je veux chez moi !
Cédric — Ah ouais, et c’est où chez toi, hein, c’est où ?
Momo — Mais bordel, y a des Juifs ils sont français et israéliens, et moi je suis français et marocain, et si l’Algérie marque un but, je suis content, mais c’est tout !
Cédric — N’empêche que tu fais ramadan.
Momo — Et tu fais pas Noël toi, sa mère ! Tu manges pas de l’agneau à Pâques, toi ?
Le chef — Bon, vous vous calmez là, parce que sinon le petit Jésus, il va vous en mettre une…
Silence…
Changement d’ambiance sonore, best of « Tubes de l’été », le chef a une sorte d’abonnement de chaînes thématiques de clips pour bars hors du temps.
Une ange passe, pas la même du coup, puisqu’elle commande un Martini et qu’elle fait trois pas de danse sur la lambada devant tout le monde. Ça amène rien à ce récit mais c’est vrai, donc je le mets.
Moi, devant l’ange, je m’aperçois que je commence à croquer les glaçons, et y a comme une voix qui me dit que je vais pas revendiquer que la meilleure religion c’est l’athéisme. Parce que je me rends compte, d’un coup, que je suis pas non plus si pratiquant que ça…