Liberté, égalité, stérilité
Jikabo
En juillet 2016, dans son numéro 5, Saxifrage publiait un article intitulé « Contraception : nom masculin ». J’y interrogeais notamment plusieurs hommes ayant fait le choix de la vasectomie, qui est une intervention chirurgicale légère permettant leur stérilisation définitive. En France, la contraception est encore très majoritairement l’affaire des femmes, au prix d’une intrusion dans l’intégrité de leur corps (tel le stérilet), éventuellement doublée d’une contrainte quotidienne chimique et stressante (telle la pilule). Elle est souvent assortie de corollaires pénibles, allant de la charge mentale aux effets secondaires toxiques, sur le corps des femmes d’abord, mais aussi sur l’environnement : ainsi, le rejet d’œstrogènes dans les eaux usées provoque une féminisation des populations de poissons alarmante pour la survie des espèces. Enfin, soyons honnêtes, l’alternative de la capote est un pis-aller que peu de couples apprécient réellement.
Certes, la vasectomie ne saurait être l’alpha et l’oméga de la prévention des naissances au sein de tous les couples, du fait de son caractère irréversible (et encore : on peut congeler son sperme pour garder la possibilité d’avoir un enfant ultérieurement, par procréation médicalement assistée). Mais il peut de plus en plus sembler regrettable que, chez ceux pour qui il est évident qu’aucune procréation n’est plus souhaitée, de par leur âge ou la composition de leur famille, elle ne soit pas une option plus largement envisagée. Faut pourtant admettre que, en matière de féminisme, ça a plus de gueule que l’écriture inclusive, et ça porte plus à conséquence : la stérilité comme solution pour une sexualité libérée et égalitaire.
Depuis la publication de mon premier article, il s’avère que le changement de stérilet de ma compagne, l’an dernier, a occasionné son lot d’effets indésirables, de mycoses notamment, si bien que la vasectomie est récemment devenue pour moi une question personnelle. J’en savais assez pour que la décision s’impose avec la force de l’évidence : mon tour est venu. Sans aucun esprit de sacrifice, sans abnégation ni renoncement : c’était la logique même. J’ai la cinquantaine passée, père d’un gosse issu de mon sang, en couple avec une femme elle-même mère d’un garçon ; nos deux fils connaissent ainsi les joies de la fratrie, et au vu de mon âge, nous n’ambitionnons pas de doter l’humanité d’un descendant supplémentaire. Après discussion conjugale, puisque ma stérilité sera aussi, de facto, celle de notre couple, j’ai donc engagé la procédure l’an dernier, tandis que, parallèlement, ma compagne se faisait ôter son stérilet pour basculer sur la pilule, en attendant.
C’est pourquoi, maintenant que la chose est accomplie, je m’attelle sans filtre au partage de cette intimité, dans l’espoir que, comme ce fut le cas pour moi, d’autres en tirent, sereinement et en connaissance de cause, les conséquences pratiques qu’impose le bon sens. La vasectomie, sans atteindre les chiffres du Canada où elle concerne un homme sur trois, a connu en France une incontestable démocratisation : alors qu’en 2015, 3 743 hommes y avaient recours, en 2021 ils étaient 21 277 – presque six fois plus nombreux. S’il n’est pas certain qu’on doive attribuer cet accroissement à la seule audience du journal casse-pierres, indéniablement le bouche à oreille et le prosélytisme des précurseurs ont joué un rôle important dans ce travail de sensibilisation. Depuis les premiers entretiens que j’avais réalisés il y a sept ans pour mon article, plusieurs autres amis ont à leur tour franchi le pas. En 2021, les éditions Libertalia publient Opération vasectomie. Même la presse grand public l’évoque régulièrement. D’ailleurs, sur la suggestion du service communication de l’hôpital désireux de populariser la démarche, une journaliste sollicitera mon témoignage post-opératoire, pour un article paru le 20 janvier dans 20 Minutes. Je m’en vais donc faire ici le récit factuel de ce que j’ai vécu, et je ne tairai rien.
Anesthésie générale ou locale ?
Le 12 avril 2022, j’appelle donc le service d’urologie de la clinique Toulouse-Lautrec, à Albi. Nul besoin d’une ordonnance de mon médecin généraliste référent. Je me vois fixer un premier rendez-vous pour le 9 mai. Ce jour-là, je suis reçu par un urologue qui me présente la vasectomie dans les grandes lignes, me pose une série de questions sur ma situation conjugale et familiale, s’assure que je suis bien informé et que je fais ce choix en pleine conscience. C’est assurément le cas, la rédaction de mon article m’avait permis de bien me renseigner dès 2016. Il me palpe les bourses, histoire de vérifier que tout est en place de ce côté-là, puis, une fois que je me suis rhabillé, me demande si, à mon tour j’ai des questions à lui poser. Je n’en ai qu’une : la vasectomie sera-t-elle bien pratiquée en anesthésie locale ? Car je trouve excessif de subir la première anesthésie générale de mon existence pour un acte médical si léger.
L’urologue tique : il est au regret de me répondre que, dans sa clinique, seule l’anesthésie générale est pratiquée. C’est au demeurant, ajoute-t-il, l’option que préfère l’immense majorité des patients, et il ne lui est pas possible de faire exception pour moi car le geste chirurgical n’est pas le même : avec un individu endormi, le praticien se permet deux incisions latérales, tandis qu’en anesthésie locale, on privilégie une incision unique, centrale, pour ménager un patient qui demeure conscient de ce qu’on est en train de lui faire. Il a du reste l’honnêteté de me confier que, à ma place, il préférerait lui aussi l’option locale. Techniquement, son explication est convaincante, même si je ne peux pas m’empêcher de songer que, pour la clinique, le traitement d’un patient en anesthésie générale est probablement beaucoup plus lucratif qu’une opération légère réalisée en ambulatoire. Je décline donc son offre de services, il m’oriente vers diverses cliniques de la région toulousaine, et nous nous quittons bons amis.
Avant de solliciter le secteur privé, j’appelle illico l’hôpital de Purpan, haut lieu historique dans l’expérimentation de diverses contraceptions masculines. On m’y propose un rendez-vous très tardif, mais son spécialiste ès vasectomies exerçant aussi à Rangueil, sur les conseils de la secrétaire je tente la même démarche dans l’autre hôpital, pour retenir le plus véloce : ce sera donc Rangueil. Même toubib, et même procédure médicale : oui, en effet, le docteur Huyghe, chirurgien urologue et andrologue, y pratique bien la vasectomie sous anesthésie locale. En revanche, ma première visite à Albi ne pourra pas être prise en compte dans la procédure fixée par la loi, qui prévoit deux consultations avec le même médecin, espacées de quatre mois de réflexion, avant de pouvoir valider le sérieux de cette décision irrévocable. Le jour de l’intervention, l’urologue toulousain m’informera qu’entre-temps, il aura obtenu du service juridique de l’hôpital qu’une première visite chez un confrère puisse être prise en considération dans ce compte à rebours. Mais dans l’immédiat, c’est pour moi un fâcheux contretemps – je le mettrai à profit pour lire le passionnant Opération vasectomie.
Retour à la case départ donc : on écope de quatre mois de pilule en plus. Le plus bizarre, c’est que cette seconde « première visite », non seulement pourrait passer pour inutile après celle que j’avais déjà effectuée à Albi, mais s’avérera médicalement bien moins convaincante, puisque ce 27 juin, loin de m’y faire palper les couilles comme auparavant, je serai ausculté en visio – visio qui virera même au coup de téléphone, suite à un problème technique. Mais bon, la machine médico-bureaucratique est réenclenchée. On me fixe une seconde télé-consultation le 15 novembre, qui s’avérera pure formalité, et aussi déjà sans attendre, la date de l’intervention : ce sera le 6 décembre.
En ce beau petit matin d’hiver, donc, non sans m’être – expérience inédite pour moi – préalablement épilé les testicules avec une pommade achetée en pharmacie, je me rends à Rangueil. Après quelques étapes de routine, je passe sur le billard. Le préliminaire de la piqûre d’anesthésiant sera le moment le moins agréable, quoique vraiment très bénin : ensuite, une micro-incision de cinq millimètres, réalisée sans bistouri s’il vous plaît, c’est nouveau, ça vient de sortir, et un point de suture résorbable pour finir. J’entends tout, y compris les explications pédagogiques que l’homme de l’art dispense à son interne, venue se former à la chose. Consigne m’est finalement donnée de m’abstenir d’éjaculer pendant une semaine, et je repars aussi sec, comme je suis venu ou presque, seul au volant de ma bagnole. Je suis de retour chez moi pour le déjeuner. L’intervention aura été infiniment moins désagréable que l’extraction d’une dent cariée que j’avais dû subir l’été précédent. Une formalité, si je puis dire.
Dans l’après-midi, l’effet de l’anesthésiant s’estompe, et je dois à la vérité d’avouer que j’ai, comme on m’en avait prévenu, les bourses congestionnées et quelque peu endolories. La douleur mettra une dizaine de jours à disparaître. L’agenda familial fait que, cette semaine-là, je suis seul à mon domicile, et ça me fait tout drôle de me relever en solo de cette opération, certes bénigne, mais hautement symbolique. Mais franchement, ça va. Pour l’anecdote (je ne vous épargne rien), le soir, j’ai la mauvaise idée de mater La vie d’Adèle, que je dois urgemment rendre à la médiathèque : le film, comme chacun sait, contient d’affriolantes et magnifiques scènes d’amour lesbien, ce n’était pas le choix le plus adapté à mon état, mais ma cinéphilie l’emporte, en tout bien tout honneur, sur ma convalescence toute fraîche.
Passé la semaine d’abstinence préconisée par le protocole, ma vie sexuelle, il convient de l’énoncer explicitement, recouvrera son entrain habituel, sa vigueur et son appétit, sans dommage collatéral, sans bémol, sans ombre au tableau. Ça va mieux en le disant : les mecs, il n’y a rien à craindre de ce côté-là !
Enfin stérile !
Côté porte-monnaie, le tout ne m’aura rien coûté, ni les deux consultations préalables, ni l’acte lui-même, facturé une soixantaine d’euros dans le public, et intégralement pris en charge par l’Assurance maladie. Il n’y a que pour le spermogramme de contrôle que je devrai finalement débourser une petite quinzaine d’euros.
Car en effet, dernière étape, afin de contrôler que ma stérilité est bien effective, je dois faire réaliser un spermogramme, trois mois après l’intervention, et, histoire de purger les tuyaux des spermatozoïdes résiduels, après vingt à trente éjaculations (le service d’urologie et le cabinet d’analyses médicales divergent sur ce nombre). Or, à Albi, aucun laboratoire n’effectue ce type d’analyse. Je prends donc rendez-vous à Castres (cela ne s’invente pas !), pour le 7 mars, jour de grève nationale contre la réforme des retraites. Au téléphone, la laborantine m’a enjoint d’avoir une éjaculation trois à cinq jours en amont, ni plus ni moins, et de ne pas uriner une heure avant le prélèvement. Le jour J, je me lève tôt afin d’être à Castres à 8 h 30, beaucoup trop tôt pour mes habitudes, si bien que, idiotement, je bois moult café, pars avec la vessie pleine, pisse avant Réalmont, arrive néanmoins au labo avec une impérieuse envie de re-pisser. Gasp ! Je demande à l’accueil si cela me sera loisible, on me fait patienter en me disant que tout va m’être expliqué. Après un bref temps d’attente à me trémousser sur mon siège en plastique, on me fait monter par un escalier dérobé en colimaçon.
Une laborantine me reçoit dans la « salle de recueil », comme il est écrit sur la porte, ce qui me fait immanquablement penser aux chapelles œcuméniques des aéroports où les croyants de tout poil peuvent se recueillir avant de s’envoler dans les airs au péril de leur vie. Mais je quitte vite cette digression spiritualiste pour des considérations pratiques autrement plus importantes : je peux, me dit-elle, uriner, alléluia. Puis je devrai me désinfecter les mains et le gland avec une lingette antiseptique, et enfin me livrer à un plaisir solitaire, qui n’aura rien d’un plaisir et tout d’un prélèvement médical. La salle de recueil ne propose, pour m’assister, ni littérature illustrée ni vidéos suggestives comme je croyais que c’était l’usage. Morne branlette dans l’éprouvette, échantillon. Plein de tact, le labo m’épargnera la traversée de sa salle d’attente avec le tube en plastique garni entre le pouce et l’index : on m’a dit de laisser dans la salle de recueil le récipient contenant l’éjaculat, et de simplement prévenir l’accueil, en partant, que la messe était dite.
Deux jours plus tard, je reçois par mail les résultats du spermogramme. Leur interprétation ne requiert visiblement pas l’exégèse d’un spécialiste : pour deux microlitres, on observe zéro spermatozoïde progressif et non-progressif, et deux dits immobiles. La conclusion énonce : « présence de très rares spermatozoïdes, tous immobiles ». Ça a l’air bon, ma compagne stoppe aussitôt la pilule. L’ultime consultation téléphonique avec un interne du CHU, le 21 mars, confirmera formellement ce diagnostic. Me voilà officiellement stérile. Youpi !
Alors, les gars, ça vous tente ?
Lire aussi :
Jikabo, « Contraception : nom masculin », Saxifrage n° 5, juillet 2016.
Élodie Serna, Opération vasectomie : histoire intime et politique d’une contraception au masculin, Libertalia, 2021.