Merci pour tout
Saxifrage
Subissant de plein fouet les affres de la machine judiciaire et de son avidité financière (voir l’article « Condamnés pour diffamation », dans notre n° 16), c’est, vous l’imaginez, moins par plaisir que par nécessité que nous avons décidé de nous lancer dans une seconde soirée de soutien au journal.
Avec le recul, c’était un peu osé, et nous aurions pu douter, légitimement, de notre capacité à mobiliser, par deux fois, la bourse et l’attention de nos lectrices et sympathisants. Rien n’en fut, et le 1er février 2020 s’est tenu un « bal de charité » que nous ne sommes pas près d’oublier. Car le bal fut endiablé, et la charité multiforme. Quelque deux cents personnes étaient donc réunies, dans l’écrin briqueté du domaine de Matens, et ont pu goûter, plus de cinq heures durant, l’effervescence rageuse de Jikabo sous les foudres planantes de Mad Monkey, son acolyte dans Stentor ; puis la sensibilité folle, inévitable, de Mathias Imbert et de sa contrebasse, enveloppée du blues désabusé de Brunoï Zarn ; ensuite, l’exubérance rythmique et joyeuse des Cinq Oreilles ; et enfin, l’ultime chevauchée du cavalier fantôme, en la personne de Brunoï Zarn, à nouveau rejoint par Mathias Imbert, au milieu de la course. Un boucan raffiné, une poésie vive et bruyante. Là-dessus : à boire, à manger, à lire, beaucoup de discussions, aucun service d’ordre, le pied… Pour nous, un pur moment de convivialité avec vous, au-delà de ces pages.
Merci à vous pour ce soutien qui nous touche. C’est con à dire, mais c’est la vérité. Merci aux artistes qui n’ont pas touché leur cachet, qu’ils nous ont donc mécaniquement reversé. Merci à Julie et Éric, propriétaires de la salle. Merci à Professeur Zimon de la Lune Rouge, qui a sonorisé la soirée pour que dalle ; à Charline, qui l’a mise en lumière pour pas plus. Merci à Pascal des Bonnes Efluves, qui nous a enlevé une grosse épine du pied en assurant l’organisation, la logistique et la préparation de deux marmites de lentilles et de six moelleux géants. Merci à Benjamin de la ferme de Saint-Christophe, pour avoir alimenté notre cuisine en légumes bio. Merci à la Berlue pour sa bière, au domaine de Matens pour son vin, et à Tonton pour son jus de pomme. Merci aux bénévoles de la soirée, au bar, à l’épluchage, à l’entrée, à la mise en place, au rangement… Bon, ça fait beaucoup de mercis ; ils sont sincères. Car les sommes collectées lors des deux soirées sont finalement à la hauteur. C’est donc officiel : merci, car vous venez de payer l’avocat !
L’atmosphère de notre bal de charité a été nimbée d’une émotion spéciale, triste et belle à la fois. Piero Pépin se mourait. Piero, c’est la gueule inimitable qui trône en une de notre n° 16, côté cour, hurlant dans l’oreille gauche d’un Brunoï Zarn éberlué, pendant que Mathias Imbert lui assourdit l’oreille droite. Piero, c’est la trompette de ce trio, Boucan, dont on avait chroniqué l’album dans ce même n° 16 – et qui devait initialement jouer pour Saxifrage ce 1er février. Mais Piero se mourait. Finalement, faute du trio, ce fut donc le double duo, endeuillé et sublime de rage et d’amitié, avec un absent immense en ligne de mire, quelque part sur la scène, dans pas mal de têtes, et entre les mots des chansons. Piero est mort le lendemain.
Boucan chante : « On sera vieux quand on sera morts, pas avant. »