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Le député et le dictateur

Nicolas Rigaud

Dessin de B. Khattou
Dessin de B. Khattou

En 2007, le tout nouveau député de la deuxième circonscription du Tarn hérite de la présidence du groupe d’amitié France/Guinée-Équatoriale. Retour sur les premiers (faux) pas diplomatiques du célèbre avocat tarnais.

Le 23 janvier 2008, l’ambassadeur de Guinée-Équatoriale, accompagné par cinq députés équato-guinéens, déambule dans les salles feutrées du Palais Bourbon. Cette étrange délégation, visiblement impressionnée par les oripeaux de notre République, s’arrête, intriguée par le tableau de René Rousseau-Decelle représentant Jaurès et Clemenceau en pleine engueulade parlementaire : l’admiration est réelle. Un quinquagénaire au large sourire, cheveux grisonnants coiffés en arrière, observe la scène, flatté. C’est M. Jacques Valax. Sa présence ce jour-là n’est pas anodine. Il a été, depuis peu, parachuté à la présidence du groupe d’amitié France/Guinée-Équatoriale1.

Après un apéro à la buvette des parlementaires, notre équipe se retrouve pour une réunion de travail afin de déterminer les objectifs de la coopération entre Paris et Malabo. M. Jacques Valax se félicite alors de l’adhésion de la Guinée-Équatoriale (pays hispanophone) à la francophonie et promet toute l’aide nécessaire pour envoyer des formateurs en langue française. Il n’hésite pas à vanter les forces vives de Midi-Pyrénées et du Tarn et promet « une synergie profitable à tous ». Il faut aider ce petit pays de 700 000 habitants, troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne et « ancré dans la démocratie » comme le révèle la note de synthèse de cette rencontre2.

Les premiers pas du député dans le gratin diplomatique mondial posent déjà quelques questions. M. Jacques Valax savait-il que Teodoro Obiang Nguema, ancien chef des prisons guinéennes et président depuis 1982, a été par trois fois reconduit dans ses fonctions avec plus de 95 % des voix ? Ses collaborateurs avaient-ils oublié de lui indiquer que la Guinée-Équatoriale est considérée comme une dictature mafieuse et que la fortune personnelle d’Obiang dépasse les 600 millions de dollars3, faisant de lui le troisième chef d’État le plus riche du monde ?

Le 12 mai 2011, M. Jacques Valax rempile en organisant un colloque à l’Assemblée nationale. Il y invite l’ambassadeur, les représentants de l’association France/Guinée-Équatoriale (AFGQ), Isabelle Thomas-Werner et Ludovic Landivaux, avocats de la famille du président Obiang, et deux baroudeurs UMP de la diplomatie française en Afrique et au Moyen-Orient, membres du groupe d’amitié France/Guinée Équatoriale : Didier Julia et Jean-François Mancel4.

M. Jacques Valax ouvre les débats d’un ton rocailleux en insistant sur « l’amitié, [le] respect et […] la sincérité ». Puis il termine avec éloquence son introduction en citant Aimé Césaire : « Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Suivant ses conseils illico ma non tropo, le colloque s’attarde sur les aspects sociaux de la répartition de la manne pétrolière, le développement de la francophonie ou bien encore les relations économiques entre France et la Guinée-Équatoriale. M. Jacques Valax ponctue la réunion en insistant sur « les relations d’égalité et de fraternité entre nos deux pays. Franchise, sincérité, réciprocité et surtout valeurs humaines sont des aspects que nous partageons en commun ». Bigre ! Pour faire des déclarations de la sorte, notre Dom Juan du Sud-Ouest était-il toujours ignorant de la situation ?

Saxifrage a contacté l’association France/Guinée-Équatoriale, qui garde « un très mauvais souvenir de sa relation avec M. Valax ». Elle fut invitée à Albi pour organiser le colloque avec le député et ses collaborateurs. L’AFGQ voyait dans ce projet l’occasion de parler (enfin), de façon objective, de la situation en Guinée-Équatoriale avec l’appui d’un député socialiste. Au cours du dîner, l’association a fait part de son désir d’ouvrir les débats en invitant des intervenants de la société civile. La réponse fut sans appel : « Y a que des coups à prendre, on ne veut pas de vagues. » Or qu’avait-il à perdre à cette époque ? Rien. Député de l’opposition, il aurait pu dénoncer, de façon toute diplomatique, la situation en Guinée-Équatoriale. Mais pour l’AFGQ, « Valax s’en foutait complètement ».

Il savait pourtant qu’une affaire de corruption internationale (les biens mal acquis5) visant la famille Obiang et d’autres chefs d’État africains était, à ce moment-là, en cours d’instruction à Paris. Il était donc informé qu’Isabelle Thomas-Werner et Ludovic Landivaux assuraient la défense du président équato-guinéen. M Jaques Valax a confirmé à Saxifrage qu’il était au courant de la réputation sulfureuse de Didier Julia et Jean-François Mancel, qui revenaient tout juste d’une mission diplomatique à Malabo.

Par vanité, M. Jacques Valax s’est rangé aux pratiques diplomatiques douteuses de la France à l’encontre de Teodoro Obiang Nguema. Visiblement déçu d’avoir hérité d’un pays si peu prestigieux pour sa grandeur provinciale, il ne fit aucune autre intervention et laissera la présidence du groupe d’amitié parlementaire en 2012. Dans cette histoire, M. Jacques Valax fut un auxiliaire, un pion souriant et bien élevé. Un rôle qu’il a accepté et parfaitement interprété. Fidèle à son habitude, il n’aura représenté que lui-même.

Nicolas Rigaud

1. Un groupe d’amitié parlementaire réunit les députés qui ont un intérêt particulier pour un pays. Ils sont un des relais de la politique étrangère française.

2. ‹ http://www.jacquesvalax.fr/?p=1220 › (site actuellement hors-ligne)

3. Rapport du CCFD concernant les « biens mal acquis ».

4. Ces deux députés sont liés aux réseaux officieux de la France en Afrique, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire. Didier Julia était un proche de Tarek Aziz, ministre des Affaires étrangères de Saddam Hussein. Pour plus d’infos voir le site ‹ survie.org ›.

5. L’affaire des biens mal acquis vise les familles dirigeantes du Gabon, de la Guinée-Equatoriale et du Congo qui ont acquis des biens sur le territoire français grâce aux transferts illicites d’argent public sur leurs comptes personnels, sur fond de soupçon de corruption.

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