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Préférez un amour norvégien !

Boris Vézinet

« Nous arrêtons des individus qui n’ont nullement enfreint la loi. (…) Donc l’acte criminel proprement dit ne relève strictement que de la métaphysique. C’est nous qui proclamons ces gens coupables. Eux se prétendent éternellement innocents. Et en un sens, ils sont innocents. »

Philip K. Dick, Rapport minoritaire, 1956

Les lois antiterroristes ont le plus souvent été écrites en réaction aux attentats. Par essence, l’acte terroriste (ou de résistance, tout dépend du point de vue) provoque au sein de la population une peur collective. L’émotion qui se dégage, une fois les objectifs de l’acte terroriste atteints, rend les populations malléables et impulsives. Le sentiment d’insécurité s’étend. Le citoyen est invité, par les dirigeants et les « grands médias », à choisir son camp. Une fois le consensus social atteint, le gouvernement peut sans difficulté déployer l’armée et la police et préparer La réponse législative sous forme de mesures d'exceptions.

En décembre 2014, le Parlement a adopté, en procédure accélérée, une énième loi sur le terrorisme. Cette fois-ci, l’objectif de nos représentants était de répondre à la nouvelle menace qui trouble l’ordre établi et ébranle la République : le terroriste isolé, le loup solitaire contre qui il est difficile d’agir. Ainsi, la loi intègre une nouvelle infraction « venant réprimer la préparation individuelle de certains actes de terrorisme ». Exit l’association de malfaiteurs, voici l’entreprise individuelle ! Plus étonnant, la loi propose qu’« un trouble potentiellement grave à l’ordre public suffit à caractériser le but terroriste » et que « l’intention qui anime l’agent se confond avec le but de l’entreprise ». Criminaliser le présumé terroriste avant son passage à l’acte, voilà la solution ! À noter que l’utilisation de l’italique pour le terme « potentiellement » interroge, comme si le législateur avait voulu nous dire : « Si, si, vous avez bien lu ! ».

Mais comment déterminer l’éventualité du passage à l’acte d’un individu ? L’article 5 propose une liste d’infractions relativement larges et à interprétation variable : « 1) Recueillir des renseignements relatifs à un lieu ou à une ou plusieurs personnes (…), 2) S’entraîner ou se former au maniement des armes ou à toute forme de combat (…), 3) Fabriquer ou utiliser des substances explosives, incendiaires, nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (…), 4) Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie (…), 5) Avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ». Si vous remplissez deux de ces critères, alors vous êtes un terroriste en devenir, même si vous n’avez pas encore envisagé de descendre quelqu’un. La potentialité de l’acte terroriste se paye cher : dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Punir l’intention plutôt que l’acte, faires des innocents des coupables tout trouvés, voilà le nouveau credo des États.

Afin de repérer les futurs-terroristes-qui-n’en-sont-pas et de traquer les auteurs de slogan faisant l’apologie de terrorisme, le gouvernement a concocté une loi sur le renseignement approuvée en toute hâte en juin dernier. Elle permettra désormais aux services de renseignements d’espionner, en toute légalité, les moindres recoins de votre vie privée (surveillance d’Internet généralisée, enregistrements sonores et visuels dans les espaces privés, géolocalisation des objets ou véhicules, piratage des ordinateurs ou téléphones portables…). Ces services seront placés directement sous les ordres du Premier ministre. Afin d’éviter d’éventuels abus, la loi prévoit la création d’une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Elle est dotée d’un pouvoir important : donner un avis consultatif sur les agissements des services de renseignements !

Face à ce délire généralisé, l’équipe de Saxifrage vous donne quelques astuces pour passer entre les gouttes des services de renseignement : préférez un amour norvégien plutôt que syrien, mettez en dépôt vente le fusil du grand-père dans l’armurerie la plus proche, balancez votre ordinateur et sortez du placard votre Olivetti, arrêtez le kung-fu, n’allez pas sur des sites djihadistes même pour vous informer et évitez d’acheter du sucre et de l’engrais1 dans la même grande surface !

Boris Vézinet

1. La fameuse bombe agricole !

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