Tranches de réalité en sachets fraîcheur individuels
Gianluigi Wrzyszcz
Mes chaussettes sont trouées. Ça fait quelques culs de lune qu’elles sont trouées, mais je n’y pense que quand je les mets. Il faudra les repriser ou les jeter. Et puis la journée passe, j’ai oublié les trous. Le soir j’enlève mes chaussettes, je ne pense plus aux trous. Le lendemain elles partent au linge sale, je ne pense toujours pas aux trous. Un jour je les lave, les étends, les ramasse, les range dans le placard, toujours sans penser aux trous. Je n’y pense que quand je les remets. Ah zut ! mes chaussettes sont trouées. Je ne vais pas les jeter propres. Encore un tour de manège, et les trous s’agrandissent et je n’y pense que quand je les mets.
Ça n’est pas vrai. J’y pense aussi quand un croisé de la croissance m’exhorte à sauver les pandas, quand quelqu’un essaie de me faire voter utile, quand le bruit de la mort vient plus près des micros et qu’on veut m’échanger un baril de lutte des classes contre deux barils de guerre civilisatrice.