Éditorial
Réalité augmentée
Le monde est la somme de ses fausses révolutions. Sa révolution consumériste est hebdomadaire, sa révolution astronomique est annuelle… Alors nous revenons gentiment au point d’où nous étions partis. Aujourd’hui, la révolution quinquennale est en passe de nous livrer le beaujolais nouveau du conte national. Là encore, il sera question de savoir par quel chemin nous retournerons à notre point de départ.
Fascinantes élections ! Qui devront accoucher du nouveau chef d’une bande de cons. Et fascinant spectacle médiatico-politique, de par l’ambivalence qu’il suscite en nous. Ce mélange de grave curiosité et d’emmerdement profond ; cette attention mêlée de désamour ; ce désintérêt captivant. Avoir conscience de la duperie sans tout à fait s’en détourner. Voilà une expérience troublante.
C’est qu’il s’agit d’une histoire. Non pas d’une histoire réelle – autobiographie de nous –, mais d’une histoire collective, aussi surréaliste qu’abrutissante. Tous les cinq ans, des millions de regards se tournent vers le rédacteur en chef de l’histoire de France : curieux et passifs, prêts à endosser une illusion toute neuve, des violences inédites, un registre original de l’absurde. Prêts à se démerder du nouveau story-telling de leur réalité. Avec une certitude : que son auteur ne connaît pas ce qu’il s’apprête à commenter.
Une histoire donc, une réalité augmentée. Un de ces phénomènes hallucinogènes, qui font voir un Pokémon sous la tour Eiffel ou un président dans chaque salon. Et ces élections sont la politesse démocratique de cette histoire, son fait rassurant, sa garantie de copie-conforme – où le peuple redécouvre ce qui va se dire sur lui, et assimile le dernier chapitre de ce qu’on lui raconte. Rien d’inoffensif malheureusement. Et les mensonges intériorisés deviennent des illusions opérantes.
Il ne suffit donc pas de balayer la chose sous prétexte de son absurdité. Car c’est l’absurdité même, convertie en message, qui fait le « jeu politique » et lui donne un corps. Et faire contrepoids, c’est parler aussi. C’est donner un mot contre un autre. C’est tricoter un imaginaire modeste, contre un concept prêt-à-l’emploi. Mettre au premier plan les bruits de fond. Glisser une idée paradoxale entre deux moments de la grande vérité républicaine. Chercher les mots qui ne remplacent pas la réalité. En clair : ne pas chercher à augmenter le réel, mais à le restituer.