Éditorial
Que publier en ces temps de misère ? Quand on est une humble plante éditoriale poussant ses racines dans l’hostile rocaille du monde. Quand on a le sentiment d’avoir dit l’essentiel dès mars 2020. Quand on pense qu’en fait on n’a jamais cessé de le dire dès notre premier numéro. Quand la covidisation de nos vies ne nous dispense pas pour autant de l’asservissement capitaliste, ne nous épargne pas l’effondrement écologique, ne nous protège pas des emprises toxiques habituelles, du contrôle constant, de la numérisation ni de l’ubérisation – loin de là, le Covid étant le masque grimaçant sous lequel ces fléaux nous font face désormais. Quand désormais on se heurte à un laminoir systémique qui affecte nos loisirs et nos déplacements, nos rêves et notre chair, nos gagne-pain et nos gosses. Quand chaque geste est une lutte, chaque acte une résistance. Que publier ?
Que publier en ces temps de misère ? L’inventaire des personnalités publiques, réfléchies mais inaudibles, médecins, scientifiques, intellectuels, juristes, quidams ou humoristes, qui s’insurgent contre le passe sanitaire, contre l’obligation vaccinale, voire contre le vaccin lui-même ? Des colonnes de statistiques démographiques chiffrant, sur trois décennies et à la troisième décimale, le taux de mortalité des octogénaires obèses victimes du glyphosate ? Une brève histoire des états d’exception, des états d’urgence, des états de siège, des états de guerre, des états de merde, des États tout court ? Le répertoire des organismes culturels qui passent sous les fourches caudines, souplement, sans un mot plus haut que l’autre, sans lumbago manifeste à courber l’échine ? Le trombinoscope des sous-fifres zélés, des gardes-chiourme hygiénistes, des kapos sanitaires, pour que tout un chacun puisse leur postillonner à la gueule en abondance ? Le CV véreux d’Olivier Véran ? Le casier judiciaire des géants de l’industrie pharmaceutique ? Des cul-erre codes parodiques ?L’annuaire des bistrots accessibles sans passe sanitaire ? La recette du cocktail Molotov ? Que publier en ces temps de misère ?
On aimerait que nos images fassent voler en éclat leurs affiches de prévention bleu-blanc-rouge. On aimerait tremper notre plume dans un vitriol tellement corrosif qu’aucun flacon ne pourrait le contenir. On aimerait que notre journal soit un brûlot incendiant ce monde de plastique et de larmes. On trouve notre Saxifrage encore trop tiède au regard de la rage qui nous ronge. On en a marre d’être polis. On n’en peut plus d’avancer masqués.
Notre utopie est que ces pages servent de mèche pour dynamiter leur dystopie. Qu’elles partent en cendres, si c’est pour que leur monde tombe en ruine.