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Lettre ouverte

À Madame la députée de la première circonscription du Tarn-et-Garonne

Marco Bénard

Photo de Colomba
Photo de Colomba

Habitant ce territoire depuis les années 70, j’observe depuis longtemps les dynamiques qui y sont à l’œuvre dans le domaine de la culture où je travaille. Or, depuis quelques années maintenant, je suis témoin d’une situation locale franchement malsaine, et qui demande à être dévoilée et clarifiée. Il s’agit de l’ostracisme grandissant qui frappe une bonne partie de la jeune population de Verfeil ainsi que les associations et projets qu’elle peut porter au niveau local. Ce phénomène étant par ailleurs également à l’œuvre dans d’autres communes avoisinantes, j’ai pris la plume pour écrire un courrier à notre députée Valérie Rabault. Sans réponse à ce jour, je me permets d’en faire une lettre ouverte dont voici quelques extraits.

Madame la députée, vous connaissez sûrement mieux que moi les évolutions démographiques de notre territoire et vous devez savoir que depuis quelques dizaines d’années, la population des communes de Verfeil, Varen et des environs a connu une forte augmentation avec l’installation de nouveaux venus. Séduits par la qualité de vie de nos campagnes, soucieux d’éviter les grandes concentrations urbaines, un nombre croissant de jeunes cherche à effectuer un retour, sinon à la terre, tout au moins à la ruralité. Et ils le font là où ils ont déjà des liens et des amitiés, ce qui est tout à fait normal.

Ainsi à Verfeil, le grand nombre de personnes qui ont choisi de s’installer dans le village (les maisons étaient libres !) a pu effrayer quelque peu les habitants plus anciens. Très vite, il s’est avéré que leur désir était de s’intégrer et non de faire bande à part, puisqu’ils se sont investis dans la vie du village et ont initié des projets telle la Maison de la halle. Certains ont créé des entreprises artisanales ou agricoles, d’autres développent diverses activités culturelles ou travaillent localement. Par ailleurs, ils ont contribué à regonfler les effectifs de l’école de Varen qui regroupe les enfants des communes alentour.

Cependant, il est vrai que dans la commune, un certain nombre d’habitants parmi les plus méfiants ont vu d’un très mauvais œil l’arrivée de tous ces nouveaux visages. Ceci a entraîné une crispation et diverses tensions avec la mairie, ainsi que quelques actes malveillants et anonymes. Néanmoins, personne n’a voulu aggraver la situation, et on peut parler d’apaisement ou tout au moins de statu quo. Ce n’est pas la première fois qu’un renouvellement de population occasionne des remous dans un village. Il suffit en général de laisser le temps aux gens de se connaître mieux.

Mais le problème dont je veux vous parler n’est pas celui-là, même s’il est né de cette situation. Il s’agit de l’attitude des autorités et des diverses institutions locales qui semble induire depuis quelques mois une mise au ban de plus en plus perceptible des associations et initiatives verfeillaises. Petit à petit, aides et subventions ont été supprimées, le renouvellement des emplois aidés refusé, et une rumeur s’est propagée comme quoi « il ne fallait surtout pas travailler avec les associations verfeillaises probablement toutes sous l’emprise d’une secte extrémiste ». Résultat : tant au niveau social que culturel, nombre d’initiatives sont aujourd’hui menacées, voire abandonnées. […]

À Verfeil, le fait que quelques-uns des arrivants aient été issus d’une communauté célèbre et controversée, appelée Longo Maï (lire « Le discours anti-secte… » ci-dessous), a suffi pour qu’un phénomène de mise au ban par les institutions se mette en place. Malheureusement, une suspicion générale a été alimentée de la mairie jusqu’au plus hautes autorités, contribuant à entraver toutes les initiatives pourtant généreuses portées par ces habitants. Un amalgame grossier et manipulateur les fourre tous dans le même sac de membres occultes d’une secte riche et puissante qui veut prendre le contrôle des territoires et saper l’autorité de l’État. Bref, ce serait une bande de dangereux séparatistes !

On voit bien à quel point il s’agit là d’une vision paranoïaque de la réalité. La même paranoïa qui a donné naissance à l’affaire dite de Tarnac et d’autres, qui se sont révélées n’avoir d’existence que dans les têtes policières… La récente « opération anti-terroriste » qui a vu le village de Verfeil investi par des hommes armés, cagoulés, et deux habitantes interpellées, participe pleinement de cette vision policière. Rappelons qu’elles ont été libérées sans poursuite à ce jour, et qu’il ne s’agissait que de suspicion de participation à une manifestation de dénonciation du groupe cimentier français Lafarge – lequel a été condamné en 2022 à payer 778 millions de dollars aux États-Unis pour avoir soutenu des organisations terroristes en Syrie, dont le groupe État islamique, entre 2013 et 2014, et reste inculpé en France pour « complicité de crimes contre l’humanité ».

Pourquoi ce déploiement de force disproportionné, si ce n’est pour faire peur et contribuer à criminaliser de simples activistes écologistes ? Ainsi la mise au ban de cette population se poursuit par tous les moyens, et en dépit du bon sens.

En dépit du bon sens assurément, car comment ne pas se réjouir de voir des villages et leur campagne se repeupler, les maisons délabrées être retapées, des enfants en quantité jouer sous la halle et sillonner les rues en vélo sous les yeux attendris des anciens ? Comment ne pas soutenir ces multiples projets, qui profitent à tous sans exception et où œuvrent maints bénévoles ? Comment ne pas voir que même ces idées nouvelles de refus de l’individualisme et de mise en commun qui suscitent la méfiance des autorités, sont précisément ce qui nous manque le plus aujourd’hui, et sera crucial pour le futur ? Comment ne pas reconnaître que, y compris avec ses errements éventuels et ses côtés moins roses, il s’agit là d’un des multiples lieux-laboratoires où se dessine, patiemment et sans esbroufe, le monde de demain ?

Madame la Députée, je vous demande de bien vouloir considérer cette situation et faire circuler cette information vers les autorités. Il n’existe en aucun cas un groupe uniforme de nouveaux Verfeillais partageant tous les mêmes idées, mais c’est une population variée et hétérogène, vieux habitants et plus récents arrivés se mélangeant comme partout. Comme souvent à Verfeil, ils se révèlent plus créatifs, collectifs et contestataires que d’autres… Certains s’en réjouissent d’autres moins, mais il ne s’agit pas de remettre une médaille ni d’encenser, mais bien cesser de dénigrer et de faire circuler des rumeurs dommageables et infondées. L’État a montré qu’en cas de transgression de la loi, il avait les moyens d’intervenir, inutile d’en rajouter. J’imagine que la Préfecture est aussi méfiante que je peux être enthousiaste, mais je n’aimerais rien d’autre que l’application de notre devise républicaine : liberté, égalité et fraternité.

Oui, tous les habitants de ce territoire ont droit, comme tout citoyen, à la liberté de pensée, d’expression, de réunion et d’action tant qu’ils ne contreviennent pas à la loi. Oui, eux et les associations qu’ils constituent ainsi que les projets qu’ils portent ont droit à l’égalité de traitement par les divers services administratifs et les autorités. Quant à la fraternité, certes elle ne peut pas se décréter, mais si on essayait de la faire vivre un peu plus, partout, comme à Verfeil ! Chiche !

Marco Bénard

[…] le fait de vivre leurs idées collectivement a amené quelques députés à classer ce groupe dans la catégorie « secte » dans le rapport parlementaire de 1996. Or, ce groupe, que l’on partage ou pas ses idées – là n’est pas la question – a le droit de vivre et de penser différemment de la majorité de la population dès lors qu’il respecte la dignité des femmes et des hommes ce qui, manifestement, est le cas. Ce rapport parlementaire classe les « sectes » en élaborant une typologie pour le moins contestable et contestée par certains chercheurs, hélas trop peu nombreux. Et dans cette classification, plusieurs catégories sont élaborées parmi lesquelles figurent « les groupes alternatifs » ! Le paragraphe introductif précise : « Ils [les groupes alternatifs] proposent en général une organisation différente des circuits économiques, du mode de production, du commerce mondial, des rapports humains ». Il serait grand temps de le souligner avec force, ce texte est une atteinte à la liberté de penser et notamment à la liberté de penser sur le mode de la contestation. […] À ma connaissance, [Longo Maï] s’inscrit dans le cadre de la loi et ne contrevient en rien à celle-ci. L’assimilation entre « sectes » et groupes alternatifs est une avancée de la pensée unique puisque le signifiant « secte » implique « Le Mal » à détruire.

Maurice Duval

Extrait de : « Des peurs collectives : Le discours anti-secte comme support de l’idéologie néolibérale », L’Homme et la société, 1/2005, n° 155, p. 65-78.


Ces accusations ont donné lieu à des procès, gagnés par la communauté Longo Maï en 1995 et en 1996, contre le Centre Roger Ikor qui l’avait accusée d’être une « secte ».

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