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Humidifiez-moi tout ça !

Quidam le Pion

le Blaireau

 de

L’Ours est un ancien légionnaire, habitant une petite bourgade du Nord-Tarn, qui m’a souvent apostrophé au sujet de Sivens. En général, à des moments où ma disponibilité et ma patience étaient limitées – en train de porter des caisses de bédés, par exemple – et où, par conséquent, mes arguments se jetaient, pêle-mêle, dans la caricature des siens. Depuis l’automne dernier, nous nous sommes croisés au moins deux fois par mois, en reproduisant ce jeu, parfois juste taquin, parfois électrique, toujours dans l’opposition de l’information et de l’intention. Pour moi, l’Ours n’est pas juste l’image qu’il cultive plus ou moins volontairement, il est l’expression affirmée d’un syndrome plus global, sans faire de démagogie comportementaliste, d’où la volonté de l’illustrer.

Je tiens à saluer la bravoure de la bête pour avoir accepté cette sorte d’entretien car, quand beaucoup préfèrent le désaccord mutique et suspicieux, lui ne craint pas de s’exprimer, et ce malgré une oralité atypique… Mais, on le savait, l’Ours est animal courageux. Sivens est finalement un prétexte pour laisser sa parole prendre toute sa dimension, dont voici quelques morceaux choisis.

« Comme je t’ai dit, je suis pas pour… je suis pas contre non plus ! Mais j’ai vraiment des potes, là-bas, sur le coin de Salvagnac, ils sont agriculteurs, ils ont même des terres, sous le barrage, qu’ils ont pas pu exploiter pendant l’occupation. En plus, ils ont besoin d’flotte, ça leur coûte une fortune d’aller pomper l’eau dans le Tescou. Un barrage… c’est bénéfique ! »

« Tu peux toujours déplacer une zone humide, c’est réel ! Le truc qui était convenu, c’était de racler mais de recomposer la première couche sur une autre parcelle, pour que la zone humide reste toujours… pour les oiseaux et tout ça. Ils pouvaient la déplacer, c’est comme ça ! Ils ont redimensionné le projet, donc la zone humide restera en place. »

« Ce projet, ils l’avaient déjà y a quinze ou vingt ans. Pourquoi les manifestants se sont mis en plein dedans? Alors que, avant, tu l’entendais même pas. Moi, j’ai commencé à entendre parler de Sivens y a trois à quatre ans. Mon pote, il disait qu’ils en parlaient déjà du temps de son grand-père… »

« Je pense pas qu’une retenue d’eau ça va pas dégrader la vallée, au contraire… Tu sais, quand tu fais une retenue d’eau, il faut pas voir qu’une retenue… d’eau. Justement, en reparlant des oiseaux, c’est des migrants et dans leurs pattes, ceux qui vont au bord de l’eau, ils prennent des œufs et ça peut ramener des poissons. Donc, aussi, un lieu de pêche pour des gens. »

« C’est vrai, moi, j’y suis allé deux fois pour leur donner mon soutien… mais pas pour aller casser ! Et la deuxième fois, c’était suite à l’expulsion, pour éviter que les Zadistes puissent re-rentrer sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Pour moi, la terre appartient à celui qui la cultive, pas à celui qui vient la piétiner… »

« C’est des propriétés privées, vu que ça appartient à des gens. C’est comme si, un soir, je toquais chez toi, que tu m’ouvres et que je te dis : “Eh ben voilà, je squatte ton canapé…” est-ce que tu serais d’accord ? »

« Y a personne qui s’fait du fric là-d’ssus ! Y’a même trois entreprises qui ont dû mettre quinze mecs au chômage partiel, pasqu’ils avaient commencé les travaux. C’est des mecs avec des gosses, des crédits sur le dos, alors que c’était occupé par des soit-disant écologistes, avec des bâches, avec des morceaux d’palettes, en mettant l’feu dans des tonneaux… »

« Comme Ségolène Royal qui dit : “Le barrage se fera pas”, c’est pas elle qui décide !!! C’est décidé au conseil général… et régional aussi, depuis quinze ou vingt ans déjà. Alors, qu’elle arrive pas avec ses gros sabots… »

« Les gens, s’ils veulent prendre des entreprises étrangères, alors qu’on a de la main-d’œuvre en France, ça les regarde ! Vu que dans leurs pays, ils ont des conventions aussi. C’est comme si tu prenais un plombier français et un plombier polonais, c’est pas les mêmes tarifs : y en a un qui va te coûter 150 €, l’autre il va te coûter que 60 €, pour le même boulot… Lequel que tu vas prendre ? »

« Y a pas que à Sivens : ceux qui construisent les autoroutes, la Colas, qui font bosser des ouvriers marocains ou mauritaniens, pasqu’en France, on ne sait pas poser du goudron par quarante degrés ! C’est pas des procédés qui me choquent, pasque tout le monde le fait, aux États-Unis ils le font, en Afrique ils le font, tout le monde le fait !!! »

« On est à combien de kilomètres de Golfech ? Cent cinquante ? Après, je sais qu’ils cherchent aussi de l’eau, on peut pas faire sans les centrales électriques, ils ont pas encore trouvé la solution. Mais y a d’autres projets aussi en cours, comme le gaz de schiste : on en a en France… et tu sais que, du jour au lendemain, on peut devenir l’Arabie saoudite… française. Moi, j’pense que ce serait une bonne idée  ! Déjà, d’une, on serait pas obligé de l’acheter aux Russes, ou à l’Ukraine et je pense que ce serait aussi bénéfique pour l’évolution économique. »

« Si tu me parles de l’Ardèche et tout ça, j’vais t’arrêter ! Moi, j’estime que l’Ardèche n’appartient pas aux soixante-huitards !!! Pour moi, c’est une bande d’enfoirés, qui se sont enrichis sur le dos des autres, pour jouer les baba cool et fumeurs de pétards. La plupart des mecs, maintenant, ils crachent sur la gueule à tout le monde et ils sont tous de l’UMP. Après, pas loin, y a Bové, premier négrier possible ! Il a racheté toutes les petites fermettes autour, pour faire bosser au SMIC des mecs qui étaient chez eux ! Pour moi, Bové c’est un négrier… c’est un mécréant ! »

« Même moi, en tant que petit exploitant, je suis condamné à disparaître… D’ici quinze ou vingt ans ! On fait mourir toutes ces petites productions… Pasque les gens, ils disent que : “Oui, mais nous, on veut transmettre quelque chose à nos enfants.” Si dans trente ou quarante ans, leurs gamins doivent acheter leur litre de flotte à huit ou neuf euros, qu’ils ont plus de viande à manger, plus de céréales à manger, qu’est-ce qu’ils vont leur transmettre, dans ces cas-là, si, aujourd’hui, on a même pas les moyens d’humidifier tout ça ? »

« Pasque… pour moi… l’eau… c’est la vie… quoi. »

Propos recueillis par le Blaireau

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